Un ogre, la langue sortie, s'apprête à bouffer un morceau de pellicule empalé sur une fourchette, le tout dans une débauche de couleurs vives et joyeuses. C'est l'affiche du FFM cette année, un festival qui fêtera ses 38 ans dans la tourmente, la controverse et le manque criant de liquidités. Un festival de la dernière chance, mais qui, dans une sorte de pied de nez au destin, nous offre une des plus belles affiches de sa longue histoire.

L'oeuvre du bédéiste et illustrateur bolivien Marco Antonio Rocabado (Marco Toxico) est, en effet, une belle réussite graphique qui souligne avec humour et ironie l'appétit insatiable des cinéphiles. Dans les circonstances, disons que cet appétit insatiable est plus que le bienvenu. Si jamais le FFM doit être sauvé du déluge (et de la faillite), ce sera à coup sûr grâce à l'appétit vorace des cinéphiles montréalais.

Je suis partie en vacances avec l'espoir que les choses s'arrangeraient. Je reviens... et rien n'est arrangé. Tout au contraire.

Aucune aide financière en vue de la part de Téléfilm, de Tourisme Montréal, de la Ville de Montréal et encore moins de la SODEC, depuis la publication d'une déclaration de guerre de Danièle Cauchard, la directrice du FFM, à Monique Simard. Non seulement cette lettre pompeusement intitulée J'accuse était inutilement stridente et offensante, mais elle est tombée au pire moment de l'agenda politique: la veille des 100 jours de Philippe Couillard, à qui les médias n'avaient qu'un gros reproche à faire: le manque de respect de ses ministres qui n'ont pas su tenir leur langue, ni montrer un minimum de respect envers leurs adversaires.

Autant dire que le reproche allait comme un gant à Danièle Cauchard dont les diatribes se sont amèrement retournées contre elle.

Non seulement la directrice du FFM ne s'est pas fait d'amis et n'a pas réussi à renverser la vapeur gouvernementale, mais elle a déclenché un mouvement de sympathie à l'égard de Monique Simard. C'est ainsi que des alliés naturels du FFM comme Roger Frappier, le producteur du film d'ouverture du festival l'an passé, se sont vus obligés de changer de camp pour défendre l'intégrité de la pseudo-accusée. Leur indignation aurait sans doute été plus tempérée si Monique Simard n'avait pas été à la tête de la SODEC. L'organisme est en effet un des principaux bailleurs de fonds du cinéma québécois. Pas besoin d'être très futé pour comprendre que dans certaines circonstances, on ne mord pas la main qui nous nourrit: on la défend bec et ongles.

Un appui venu de Cannes

Quant aux appuis au FFM, ils sont venus au compte-gouttes, le dernier en date étant signé par Pierre-Henri Deleau, celui qui pendant 30 ans a été chargé de la sélection de la Quinzaine à Cannes et qui pendant toutes ces années, a fait une belle part au cinéma québécois. Si notre cinéma a pu rayonner à Cannes et à l'échelle internationale, c'est beaucoup grâce à lui. L'homme est un poids lourd dans le demi-monde des festivals internationaux. C'est aussi un allié de longue date du FFM dont il n'a manqué qu'une édition, pendant 38 ans.

Dans une lettre publiée dans Le Devoir et adressée à Philippe Couillard, Hélène David et Denis Coderre, Deleau s'interroge sur «l'incompréhensible et étrange assassinat» du FFM. Essentiellement, il reproche aux instances publiques d'avoir laissé le FFM construire son édition de 2014 sans l'aviser à temps de leur retrait.

«Annoncer deux mois seulement avant le début du FFM la suppression des subventions publiques, cela est incompréhensible et n'a pas de précédent. C'est purement et simplement de l'assassinat», écrit-il, avant de conclure qu'à l'avenir, les grandes manifestations cinématographiques se déroulant au Canada risquent de n'avoir lieu qu'en anglais, à Toronto ou ailleurs.

Il n'a probablement pas tort.

En attendant, le FFM va de l'avant, envers et contre tout. Les affiches ont été imprimées. Le catalogue de la programmation sortira des presses bientôt. Certains commanditaires ont décidé d'apporter ou de reconduire leur soutien en dépit des turbulences. C'est le cas de Québecor, mais aussi de BMW, de Cineplex et de NBC Universal, pour ne nommer que ceux-là.

Pour ma part et contrairement à Pierre-Henri Deleau, j'ai manqué des dizaines d'éditions du FFM pour toutes sortes de bonnes et de mauvaises raisons. Mais après des années d'absence, je reviens au bercail, voir l'état des lieux et suivre la compétition officielle.

La meilleure façon de comprendre si le FFM a encore une raison d'être et surtout s'il a de l'avenir et pas seulement un passé, c'est de le vivre. C'est ce que je me promets de faire. J'espère que je ne serai pas la seule. J'espère qu'il y aura du monde à la messe et que Montréal ne laissera pas tomber un festival qui mérite une dernière chance, sinon un second début.