À quoi ressemble l'ADN de Denis Gagnon? Très certainement à l'ADN du créateur. S'il en est un parmi les designers de mode qui déborde de créativité, c'est bien le flamboyant Denis Gagnon avec ses lunettes Lanvin surdimensionnées, ses éternelles toques sur la tête et la théâtralité des vêtements qu'il conçoit.

Denis Gagnon est tellement créatif et proche de la définition d'un artiste que, il y a quatre ans, le Musée des beaux-arts de Montréal lui a offert une mini-rétrospective de ses oeuvres pour célébrer ses dix ans de carrière. Il fut ainsi le premier designer québécois à entrer au musée. Mais aujourd'hui, au centre d'art contemporain l'Arsenal, c'est plutôt à un happening et à une performance que nous convie Denis Gagnon. Dans les faits, le designer inaugure la série ADN organisée et présentée par l'Arsenal.

De quoi s'agit-il? D'une soirée où un créateur a carte blanche pour aménager les 83 000 pieds de l'Arsenal et y concevoir une soirée avec musique, DJ, chorégraphies, performances, oeuvres d'art et tout ce qui peut stimuler son imagination et l'inspirer.

Plusieurs autres créateurs ont été sollicités, dont la chorégraphe Marie Chouinard, le chanteur Richard Desjardins, le designer Philippe Dubuc et le cinéaste Xavier Dolan. Mais ce soir, c'est Denis Gagnon qui casse la glace.

«Au départ, je n'étais pas trop chaud, me raconte-t-il dans une des splendides salles de réunion de l'Arsenal. J'étais en pleine création de ma prochaine collection. Je n'avais pas le temps ni l'énergie de me consacrer à la mise en scène d'une soirée. J'ai changé d'idée pour une unique raison: les installations techniques mises à ma disposition.»

Deux jours avant la soirée ADN de Denis Gagnon, le traditionnel bal de la Formule 1 aura lieu à l'Arsenal. Qui dit Formule 1 dit moyens de production énormes, écrans géants, systèmes de son à tout casser, rails de projecteurs aussi longs que le pont Champlain. Or, les organisateurs du bal ont accepté de prêter leur luxueuse infrastructure à la soirée de Denis Gagnon. Subitement, le designer a vu une mer de possibilités techniques et scéniques s'offrir à sa foisonnante imagination.

Au moment de notre rencontre, cette semaine, Denis Gagnon n'avait pas encore terminé sa mise en scène de la soirée. Il a toutefois pu révéler quelques surprises, dont la présence d'un bronze iconique. Rien de moins que le Penseur de Rodin, le vrai, issu du troisième moule du sculpteur français et récemment acquis par un des partenaires de l'Arsenal.

Reste à savoir si Le Penseur sortira ou non de sa boîte, mais connaissant Gagnon, il y a bien des chances qu'il y reste. Chose certaine, Le Penseur côtoiera une armée de 25 filles de toutes les formes et de toutes les couleurs qui n'ont jamais été mannequins de leur vie et qui ont été choisies lors d'un casting sauvage.

Denis Gagnon a prévu les habiller en uniformes achetés au surplus de l'armée. Pourquoi? «Parce que comme designer québécois, je suis en guerre. Je dois me battre contre la mondialisation de la mode et contre tous les H&M et Zara de ce monde. Si je veux survivre et continuer à pratiquer mon métier, je n'ai pas le choix.»

Aux non-mannequins s'ajoutera une poignée de danseurs sanglés dans des harnais de parachutistes qui vont faire du voguing, une forme d'expression corporelle des années 70 revenue à la mode.

Pour les VIP qui auront payé leur billet au prix fort, il y aura du champagne et un cocktail dînatoire dans une salle privée. Puis, à 21h, l'Arsenal ouvrira ses portes au grand public (billets à 30$) pour le plat de résistance: un spectacle multimédia, de la musique, des DJ, mais surtout, en lieu et place du traditionnel défilé de mode, la création in situ d'un tableau vivant mettant en vedette la nouvelle collection automne-hiver de Denis Gagnon.

Dans les faits, Denis Gagnon a déjà présenté ce tableau vivant une autre fois cet hiver au Centre Phi devant une centaine de personnes. «Ce fut une des plus belles expériences de ma carrière. Moi qui ne suis jamais satisfait de mon travail, cette fois-là, je l'ai été à cent pour cent», assure-t-il.

Avec ce tableau vivant, Denis Gagnon casse le moule du défilé de mode traditionnel. Les mannequins ne s'avancent pas sur une passerelle à la queue leu leu. Elles convergent plutôt une à la fois vers un récamier au milieu de la scène.

Denis Gagnon est debout devant elles pour les accueillir et les placer chacune à leur tour, comme le ferait un photographe. Lorsqu'elles sont toutes réunies autour du récamier, elles finissent par former un immense portrait de famille mis en scène par le designer.

«C'est un peu comme les séances de photo de Vanity Fair, explique Gagnon. Mais la beauté de l'entreprise, c'est que je contrôle tout de A à Z. Les filles ne s'enfargent pas dans leurs talons, elles n'en font pas à leur tête. Elles deviennent comme des statues et, à la fin, elles portent toutes un masque pour devenir des figures anonymes.»

Au départ, Denis Gagnon aurait voulu que les mannequins portent des masques tout au long de la performance. Mais les agences ont refusé sous prétexte que les mannequins doivent être aussi visibles que reconnaissables. Les agences et le designer se sont finalement entendus sur le compromis du masque à la toute fin.

Jeudi soir à l'Arsenal s'est tenu le Grand Soir, le fameux bal qui a permis de recueillir des fonds pour l'hôpital Sacré-Coeur et Moisson Montréal. Je suis convaincue que la soirée était chic et de bon goût. Mais pour le petit surplus d'âme, d'imagination et de créativité électrique, je suggère aux gens de revenir aujourd'hui, découvrir l'ADN de Denis Gagnon.