Le sketch s'intitule Actors against acting athletes. Les acteurs contre les athlètes acteurs. Il met en scène Gary Oldman, grand acteur britannique de talent, qui brille autant au théâtre qu'au cinéma, autant dans Sid and Nancy que dans Harry Potter.

On le retrouve dans un gymnase, un ballon de basket à la main. Il affirme que de la même manière qu'un joueur professionnel de basket a passé des heures à maîtriser son sport sur le terrain, lui, Gary Oldman, a passé des heures et des heures à étudier et à parfaire son métier d'acteur. Puis il ajoute: «De la même manière qu'il ne me viendrait jamais à l'idée de me joindre à une équipe de basket professionnelle sous prétexte que je suis célèbre, j'aimerais que les joueurs de basket ne s'improvisent pas acteurs. Avez-vous compris, les gars? Stay out of the fucking movies. Laissez tomber le cinéma. Vous n'êtes pas bons. Vous êtes nuls. Qui vous a dit que vous saviez jouer?», hurle à pleins poumons l'acteur.

Puis, aussi vite qu'il s'est pompé, l'acteur se calme: «Vous voyez, c'est ça, jouer. C'est ça, être un acteur.»

Ce sketch délicieux, diffusé pendant le talk-show de Jimmy Kimmel l'an passé, m'a fait penser aux soeurs Dufour-Lapointe. Les trois adorables skieuses olympiques viennent en effet de prêter leurs voix un brin aigrelettes au film Les avions: les pompiers du ciel de Disney, qui sortira au Québec le 18 juillet.

Les soeurs Dufour-Lapointe n'ont rien inventé. En 2011, Jacques Villeneuve, qui a probablement autant de talent pour le jeu dramatique qu'un frein à main, prêtait sa voix au film Les bagnoles 2. Après lui, le déluge: Joannie Rochette, Marie-Mai, Georges St-Pierre en faisaient autant, livrant tous et toutes des performances vocales et dramatiques que l'humanité s'est empressée d'oublier. Sauf que par le passé, le recours à des vedettes du sport ou de la chanson pour doubler un film américain n'a jamais suscité de polémique. Or, cette fois-ci, peut-être parce qu'avec les soeurs Dufour-Lapointe, on a trois vedettes pour le prix d'une, les réseaux sociaux se sont embrasés avec une étonnante hargne.

La communauté virtuelle est quasi unanime à décrier l'arrivée inopinée des trois soeurs dans un domaine qu'elles ne maîtrisent pas et où elles ne risquent pas de faire carrière. Parmi leurs plus ardents détracteurs, une dénommée Valérie Blain, qui leur a écrit une lettre ouverte: «En ce moment, on ne pense plus à vous comme des championnes, mais comme des profiteuses qui prennent la place des comédiens. Ces rôles appartiennent aux comédiens qui travaillent avec sérieux pour y accéder», écrit-elle sur le site du Huffington Post.

Valérie Blain, à ne pas confondre avec Valérie Blais de Tout sur moi, se présente comme comédienne, ce qu'elle a été à l'occasion dans au moins quatre films, dont Marécages et Ma vie en cinémascope. L'ennui, c'est que sur les moteurs de recherche, la première info qui apparaît sous son nom, c'est son école de danse poteau. Comédienne peut-être, mais un brin athlète à ses heures, non? Qui joue dans les platebandes de qui dans ce cas-ci?

L'autre ennui avec les affirmations de Miss Danse Poteau, c'est qu'elles sont fausses. Les soeurs Dufour-Lapointe n'ont volé le job d'aucun doubleur ou comédien d'ici.

Vérification faite, une vingtaine de doubleurs professionnels québécois ont participé au doublage du film Les avions. Parmi eux, trois doubleuses professionnelles ont enregistré la piste vocale des personnages auxquels les soeurs Dufour-Lapointe ont par la suite prêté leurs voix. Ces trois doubleuses ont été payées pour leur travail même si, au final, leur voix a été remplacée par celle des trois soeurs. Ça, c'est la première chose.

La deuxième, c'est que contrairement à la perception générale, les soeurs Dufour-Lapointe n'interprètent pas les personnages principaux du film de Disney. Elles font des apparitions de quelques secondes. Justine, par exemple, fait Pomme de Pin, dont les répliques font à peine plus de six lignes. Maxime et Chloé font qui une barmaid, qui un contrôleur, qui un camion. C'est à peine si on les entend glousser entre deux avions.

En doublage, le temps se monnaie en lignes de dialogue. Un doubleur qui a un premier rôle dans un film fera une moyenne de 300 lignes. Or, selon la directrice du plateau de doublage du film, à trois, les soeurs Dufour-Lapointe ont enregistré moins de 20 lignes. Autrement dit, toute cette histoire était avant tout un coup de pub, la savante entreprise de marketing des films Disney dont on se doit de saluer au moins un exploit: celui de faire doubler la majorité de leurs films au Québec, ce qui n'est pas le cas de toutes les multinationales.

Tout ne va pas pour le mieux dans le monde du doublage au Québec pour autant. Plus que jamais, ce secteur névralgique qui fait vivre (et bien vivre) un certain nombre de membres de l'UDA est menacé. Moins par la France, son concurrent traditionnel, que par des pays comme l'Espagne, l'Allemagne et la Belgique, qui font des percées inquiétantes sur le marché francophone en offrant leurs services au rabais. Quoi qu'on en dise, ces problèmes-là sont autrement plus graves que les aventures de trois soeurs réunies dans un studio de doublage par Disney pour amuser les enfants, faire plaisir aux parents et remplir des salles de cinéma.