La politique nous divise. La souveraineté nous déchire. Le référendum nous fait faire des crises: de nerfs ou d'urticaire, c'est selon. Heureusement, il y a le hockey. Surtout les séries éliminatoires de hockey, et surtout quand le Canadien en fait partie. Dans ce temps-là, fini les divisions, fini les tensions entre les anglos et les francos, fini le «nous autres» et le «eux autres». Tout le monde soudé sous le Tricolore. Tout le monde tricoté serré dans le tissu social de la sainte Flanelle, comme le chante si bien Loco Locass dans Le but.

Cette chanson, avouons-le, est un vrai miracle. Pour ceux qui ne s'en souviendraient pas - et, croyez-moi, ils sont plus nombreux qu'on le pense - , la chanson a été écrite en 2009, année du centenaire du club, mais surtout année où le Canadien s'est fait éliminer en quatre petits matchs par les Bruins de Boston.

Cette année-là, toutes sortes de chansons ont résonné au Centre Bell pendant les séries éliminatoires. U2, Metallica, Coldpay, nommez-les. Toutes des chansons en anglais. Pas la moindre little french song, comme dirait Carla Bruni, à se mettre sous la dent. Des fans ont protesté. Des fans qui avaient envie d'entendre de la musique dans leur langue. L'organisation du Canadien a rétorqué que ce n'était pas sa faute s'il y avait une pénurie de matériel musical francophone de circonstance.

Chafiik, le métissé montréalais de Loco Locass, fan fini du Canadien, a décidé de remédier à la pénurie. C'est lui qui a poussé pour que cet hymne voie le jour et pour qu'il résonne entre les colonnes du temple. Or, il y avait un monde entre son rêve et la réalité.

Pendant longtemps - trop longtemps à mon avis -, l'organisation du Canadien n'a rien voulu savoir du But, cette chanson très accrocheuse en forme de métaphore où il est question en filigrane d'un certain René Lévesque et de son référendum.

En 2010, sous la pression d'une pétition lancée sur Facebook et signée par plus de 5000 fans, l'organisation du Canadien a finalement accepté d'intégrer graduellement Le but dans le répertoire du Centre Bell. Mais attention, comme l'a expliqué le porte-parole du Canadien de l'époque: pas question que Le but devienne une goal song, une remarque insultante autant sur le plan linguistique que sur le plan idéologique pour une chanson qui avait l'intelligence de s'intituler Le but et non pas Le goal.

Or, quatre ans plus tard, miracle! Le but est la goal song officielle des séries éliminatoires au Centre Bell. Elle a même été rafraîchie et réenregistrée expressément pour cela cette année. Dès que le Canadien compte un but, son refrain accrocheur démarre, invitant la foule à entonner en choeur «Allez, allez, allez Montréal!»

Cette fois, la décision est venue de l'organisation même du Canadien, qui, après avoir trop longtemps chipoté, a fini par voir la lumière et par corriger son erreur. Pour une organisation aussi conservatrice que le Canadien, c'est un grand pas, voire un pas de géant, que de s'associer à groupe de rap gauchiste, souverainiste et auteur de la chanson Libérez-nous des libéraux.

Le Canadien a changé au contact de la musique de Loco Locass (ou de ses fans) et, inversement, Loco Locass a changé au contact du Canadien.

Mardi matin à la radio, chez Bazzo, il fallait entendre Chafiik défendre le Centre Bell et l'organisation du Canadien, qui n'est pas exactement une organisation unilingue francophone ni une entreprise particulièrement souverainiste. Il fallait surtout l'entendre excuser les directions passées qui diffusaient exclusivement de la musique anglo au Centre Bell et affirmer que c'est normal d'écouter de la musique en anglais. L'offre est tellement abondante. Tout le monde le fait, a-t-il dit, ajoutant: tout le monde a le droit de le faire.

Je ne sais pas ce que ses camarades Biz et Batlam en pensent, eux qui n'ont de cesse de prendre fait et cause pour la langue et la culture en français. Je constate seulement que, après des élections décevantes où les Loco Locass ont repris Libérez-nous des libéraux en pure perte, il n'y a rien de mieux que des séries éliminatoires de hockey comme lubrifiant politique et social. Si Loco Locass peut jouer au Centre Bell sans que cela crée un scandale ou une émeute, c'est qu'il y a de l'espoir. Allez Montréal! On a déjà gagné.