Finalement, c'est un livreur de pizza arménien qui aura peut-être été la grande vedette de ces 86es Oscars placés sous le signe de la sédation et de la somnolence.

Depuis dimanche soir, on ne parle pas tant des gagnants que de cet Edgar Martirosyan, un immigré arménien qui a commencé par distribuer les dépliants publicitaires d'une pizzeria sur Sunset Boulevard avant d'en devenir le livreur, puis le copropriétaire. Alors qu'il croyait s'en aller livrer de la pizza en coulisses à une bande de scripteurs, Edgar a été littéralement harponné par l'animatrice Ellen DeGeneres et traîné sous les projecteurs devant un parterre de vedettes affamées à qui il a distribué des pointes huileuses de pizza.

Depuis, tous les talk-shows se l'arrachent. Un success story comme Hollywood les aime et la preuve que tous les rêves sont valables, comme l'a si bien dit Lupita Nyong'o en recevant son Oscar pour meilleure actrice de soutien.

Sauf que pendant que le soleil brillait sur le livreur de pizza, l'ombre recouvrait ce pauvre Jean-Marc Vallée, remercié publiquement trois fois pendant la soirée, mais réduit au statut d'homme invisible. Tout le monde s'est demandé pourquoi le réalisateur de l'émission n'avait jamais réussi à repérer Vallée dans la salle. Or, à mon avis, la vraie question, ce n'est pas pourquoi les caméras n'ont jamais trouvé Jean-Marc Vallée, mais pourquoi était-il assis 10 rangées en arrière de ses deux vedettes masculines?

Un instant, j'ai cru que c'était la faute de ses acteurs, Jared Leto et Matthew McConaughey qui, à eux deux, monopolisaient six sièges, dont deux pour une mère et une soeur. Me semble que s'ils avaient été moins gloutons et moins portés sur le népotisme, ils auraient pu faire une petite place à Jean-Marc Vallée et envoyer maman et soeurette en arrière. Mais connaissant un peu le système de distribution des sièges aux Oscars, un système plus hiérarchisé qu'à la cour de Louis XIV, je me doute qu'ils n'avaient peut-être pas leur mot à dire.

Deuxième hypothèse, encore plus cruelle que la première: ceux qui produisent le show des Oscars n'en ont rien à cirer des réalisateurs à moins qu'ils soient des supra-vedettes comme Steven Spielberg ou Martin Scorsese. Si Vallée avait obtenu une mise en nomination dans la catégorie du meilleur réalisateur, il aurait eu droit à plus d'égards et à au moins deux secondes de temps d'antenne. Mais son nom n'a pas été retenu dans la catégorie, et cela en dépit du fait absurde que son film concourait pour l'Oscar du meilleur film de l'année.

Ce que j'avance, Jean-Marc Vallée me l'a confirmé par courriel: «C'est pas compliqué à expliquer, m'a-t-il écrit hier, le show de télé ne s'intéresse qu'aux vedettes. Je n'ai pas eu de nomination comme réalisateur, donc on ne m'a pas assis près de mes acteurs. Si j'avais été près d'eux, on m'aurait vu, mais j'étais loin en arrière avec les autres monteurs en nomination. Et ils n'ont montré aucun directeur photo, monteur ou concepteur visuel non plus. Tout est construit autour de leur star system. That's it

Bref, ce n'est pas parce qu'un film est en lice pour l'honneur suprême aux Oscars que l'honneur rejaillit sur son réalisateur. Des fois, le film fait carrément de l'ombre à celui qui l'a réalisé. C'est dommage. La prochaine fois, pour avoir ta place au soleil, Jean-Marc, faudra pas seulement faire un grand film, faudra en plus te déguiser en livreur de pizza!

La plaie de la «beautiful wife»

Personnellement, je n'ai rien contre le fait qu'aux Oscars, on célèbre les monteurs, les maquilleurs, les costumiers, les directeurs artistiques, les ingénieurs du son et tous les artisans du cinéma. Après tout, ils sont largement responsables du succès et de la qualité d'un film. Tant pis si ça prend une éternité, si ça coupe le rythme de l'émission et si parfois ça donne envie de bâiller, ils méritent notre considération.

Mais ce que je ne digère pas, ce qui me fait faire de l'urticaire et grimper dans les rideaux, c'est quand ces maquilleurs, monteurs, coiffeurs et directeurs photo qui tiennent tant à prendre la parole la prennent pour sortir leur liste d'épicerie de remerciements ou, pis encore, pour saluer leur beautiful wife et dire tata à leurs enfants à la maison. Non mais, on est à la maternelle ou quoi? Et pourquoi leur femme est-elle toujours beautiful et rien d'autre? Pourquoi n'est-elle pas intelligente, cultivée, raffinée ou douée pour le karaté?

Je n'en reviens pas que 86 années plus tard, les gens de cinéma en soient encore à débiter autant de niaiseries, de clichés, et qu'ils n'aient toujours rien trouvé de mieux à dire aux millions de téléspectateurs à l'écoute. Je n'ai qu'une chose à dire à tous ces braves artisans du cinéma: bravo pour votre bon travail, bravo pour tout ce que vous faites, mais sachez une fois pour toutes que vos enfants et «votre beautiful wife», on s'en torche. Compris?