À des époques différentes, mais souvent à des moments charnières de l'histoire, de très jeunes filles ont pris la parole et fait une différence dans la marche du monde. Anne Frank a été la pionnière, une fillette de 13 ans victime de l'Holocauste, dont la parole a résonné à travers son journal publié à titre posthume.

Des décennies plus tard, au plus fort du siège de Sarajevo, il y a eu Zlata Filipovic, 12 ans, nous décrivant dans son journal, elle aussi, les horreurs de la guerre au quotidien. Et aujourd'hui, il y a Malala Yousafzai, une jeune Pakistanaise de 16 ans qui milite pour le droit des filles à l'éducation. Il y a un peu plus d'un an, le 12 octobre 2012 plus exactement, Malala a reçu des balles à bout portant dans un autobus d'écoliers. Un taliban monté à bord a demandé: «Qui est Malala?» Personne n'a répondu, mais tout le monde a regardé dans la direction de Malala qui n'avait pas le visage voilé. Le taliban a pointé son Colt 45 sur elle et a tiré trois coups, manquant de peu son oeil gauche. Ce geste odieux censé faire taire la jeune fille a eu l'effet contraire.

En survivant à l'attentat et à plusieurs opérations, en se relevant plus forte et plus convaincue que jamais, Malala est devenue une icône et le symbole de la lutte contre l'obscurantisme des talibans. Invitée à prendre la parole aux Nations unies, en lice pour le Nobel de la paix, lauréate du prix Sakharov de la liberté de parole, amie d'Angelina Jolie et de Bono, Malala est aujourd'hui une vedette internationale et le sujet d'un livre qui vient de paraître: Moi, Malala, chez Calmann-Lévy.

Contrairement à Anne Frank et à Zlata, Malala n'a pas pris la plume pour écrire. Elle a demandé à Christina Lamb, journaliste respectée du Sunday Times, lauréate de nombreux prix et correspondante depuis des années au Pakistan et en Afghanistan, de l'écrire avec elle. La journaliste a eu la bonne idée d'écrire au je et de reproduire la voix chantante et la façon de s'exprimer de Malala, de sorte qu'on a le sentiment de l'entendre nous parler au fil de l'ouvrage.

On y découvre le courage et l'opiniâtreté de cette adolescente qui est la digne fille de son père, un Pachtoune ouvert et à ce point persuadé de la nécessité de l'éducation qu'il a fondé sa propre école, où se rendait d'ailleurs Malala le jour de l'attentat.

Ce qu'on découvre aussi à travers le regard de Malala, c'est le terrible sort réservé aux femmes de ces régions. «J'étais une fille dans un pays où on tire au fusil pour fêter la naissance d'un fils et où les filles sont cachées derrière un rideau, leur rôle se résumant à préparer la nourriture et à produire des enfants. Pour la plupart des Pachtounes, c'est un jour sinistre que celui où naît une fille», raconte Malala.

Pourtant, son père en avait décidé autrement, donnant à sa fille un prénom en hommage à Malalai Maiwand, Jeanne d'Arc des Pachtounes, et affirmant que Malala serait aussi libre que l'oiseau.

Et d'une certaine manière, Malala a été cet oiseau libre jusqu'à l'âge de 10 ans. Elle écoutait du Justin Bieber, se passionnait pour les crèmes éclaircissantes, n'aimait pas se lever le matin, était farouchement compétitive et a même connu une brève période de cleptomanie durant laquelle elle volait les bijoux de ses amies.

Puis les talibans ont débarqué dans la vallée du Swat, considérée comme la Suisse du Pakistan. Malala venait de voir un des films de la saga Twilight. «J'ai eu l'impression que, comme ces vampires, les talibans s'introduisaient en pleine nuit chez nous», raconte Malala. Il a fallu cacher le téléviseur et les CD de Justin Bieber. Les talibans ont commencé à exercer des pressions sur l'école de son père et à vanter les mérites des filles qui la quittaient. Malala s'est révoltée en tenant un blogue en ourdou pour la BBC dans lequel elle dénonçait le joug des talibans. On connaît la suite.

Aujourd'hui, Malala vit à Birmingham, en Angleterre. Sa vie a changé, mais elle affirme qu'elle est restée la même. Lire son livre, c'est en être convaincu. Qui est Malala? demandait le taliban dans l'autobus. La réponse ne fait plus aucun doute: c'est une jeune fille merveilleuse et courageuse qui nous donne espoir.

Quelques morceaux choisis de Moi, Malala

Sur la condition des femmes

«L'école n'est pas la seule chose dont furent privées mes tantes. Le matin, si on donnait du lait ou de la crème à mon père, elles avaient du thé sans lait. S'il y avait des oeufs, c'était seulement pour les garçons. Quand on tuait un poulet pour le dîner, les filles avaient le cou et les ailes tandis que le délicat blanc de poulet était savouré par les hommes.»

Sur la religion

«Nous citons souvent le célèbre discours de Jinnah [ fondateur du Pakistan] qui disait: vous êtes libres d'aller dans vos temples, libres d'aller dans vos mosquées ou dans tout autre lieu de culte de l'État du Pakistan. Vous pouvez appartenir à n'importe quelle caste, observer la foi ou la religion que vous désirez: l'État n'a rien à voir là-dedans.»