Joni Mitchell, qui aura 70 ans en novembre prochain, ne sort presque plus jamais de sa tanière. Recluse depuis plusieurs années, celle qui a été la voix de la génération Woodstock et qui a influencé des générations d'auteurs-compositeurs, allant de Sting à Michel Rivard, a délaissé la scène.

Depuis plusieurs années déjà, elle vit seule dans sa maison à Los Angeles où elle peint toute la journée.

Joni a pourtant fait une exception, hier soir, en assistant au premier de deux concerts en son honneur orchestrés par le festival Luminato, dans la ville même où elle a fait ses débuts il y a plus de 40 ans.

L'an dernier à pareille date, Luminato rendait hommage à Kate McGarrigle avec tout le clan McGarrigle, dont Rufus Wainwright qui, quelques mois plus tard, épousait Jorn Weisbrodt, le directeur artistique de Luminato.

Pour poursuivre dans la même veine féminine et familiale, le directeur artistique, à la suggestion d'une amie de la CBC, a voulu rendre hommage à une autre légende, mais vivante cette fois.

Le choix de Joni Mitchell s'est imposé, tant cette artiste singulière a marqué la chanson populaire et la musique en général, évoluant du folk au pop puis au jazz, et flirtant même avec l'avant-garde. Comme l'écrit si bien Leonard Cohen: Joni a changé la façon de chanter des femmes et la façon d'écouter des hommes.

Ni Weisbrodt ni Rufus n'avaient le numéro de téléphone de Joni Mitchell. Ils l'ont finalement obtenu par l'entremise du chorégraphe Jean Grand-Maître et ont pris contact avec la dame pour lui faire part du projet.

Joni n'avait aucune objection à ce qu'on lui rende hommage, mais à deux conditions: qu'on engage son complice et directeur musical Brian Blade et qu'on ne lui demande pas de chanter.

À ce moment-là, il n'était même pas question que Joni Mitchell vienne à Toronto. Elle a fini par se raviser. Et hier soir, c'est une Joni comblée et accompagnée par sa fille, celle qu'elle a donnée en adoption et retrouvée il y a quelques années, qui a pris place aux premiers rangs du Massey Hall, un vieux théâtre qui a perdu son lustre mais pas sa chaleur ni son âme.

La famille musicale réunie pour l'hommage à Joni Mitchell était aussi éclectique que la chanteuse, mais beaucoup moins connue qu'elle.

Cette famille qui semblait un peu improvisée comptait l'Irlandais Glen Hansard, la vedette du film Once, et plusieurs canadiens: l'auteur compositeur Kathleen Edwards, la chanteuse du groupe canadien Cold Specks Al Spx, Liam Titcomb, un acteur et chanteur folk rock de Toronto et, bien entendu, le Montréalais Rufus Wainwright. Une Noire américaine et sublime chanteuse de jazz du nom de Liz Wright complétait le tableau.

L'hommage portait le titre Joni: A Portrait in Song. Et c'est effectivement le portrait de cette artiste multiple qui est apparu lentement sur la scène où les interprètes défilaient à tour de rôle pour interpréter dans le désordre des chansons comme Paradise, Woodstock, Black Crow, Free man in Paris, issues d'une douzaine de disques enregistrés depuis la fin des années 60, jusqu'au dernier - Shine - en 2007.

L'orchestre de jazz, sous la direction de Brian Blade, était extraordinairement soudé et subtil. Ce n'était pas le cas pour tous les interprètes, certains incapables d'égaler l'originalité, la singularité et la force émotionnelle de la chanteuse que fut Joni Mitchell.

Il y eut toutefois deux exceptions: d'abord l'incroyable Liz Wright, madone noire de Géorgie, à la voix chaude et sensuelle, qui a su interpréter Joni aussi bien qu'elle-même, et puis Rufus Wainwright.

D'entrée de jeu, il a rappelé que sa mère Kate McGarrigle, malgré son talent et ses succès, était un peu jalouse de Joni. «Disons qu'on n'écoutait pas beaucoup les disques de Joni à la maison et que j'ai dû travailler fort pour apprendre ses chansons mais au moins, pour une fois, je ne me sentais pas coupable», a-t-il blagué.

Le concert a duré un peu plus de deux heures et demie.

J'ai dû quitter les lieux à regret, avant que Joni monte sur scène pour saluer la foule et surtout pour lui offrir un nouveau poème de son cru qui deviendra peut-être un jour une chanson. Je n'ai pas vu Joni, mais j'ai senti sa présence toute la soirée. Et c'était presque suffisant.