Ce que je donnerais pour retourner à Venise en ce moment! Pas Venise-en-Québec: Venise en Italie. D'abord pour la splendeur de cette ville fragile qui menace à tout bout de champ d'être engloutie. Mais aussi et surtout pour la 55e Biennale d'art contemporain qui a ouvert ses portes samedi.

On l'oublie souvent, mais la Biennale de Venise est à l'art contemporain ce que le Festival de Cannes est au cinéma. C'est aussi important et prestigieux au plan artistique. Aussi gros et peut-être même plus en termes de chiffres. Entre juin et novembre, un demi-million de curieux visiteront la Biennale. Rien que la semaine dernière en préouverture, 10 000 professionnels de l'art se marchaient sur les pieds entre les 32 pavillons nationaux du Giardini, puis jusqu'au site de l'Arsenal où même le Vatican présente une expo. Le Saint-Siège à Venise, du jamais-vu en 118 ans d'histoire!

Jacques Villeneuve sera heureux d'apprendre qu'Andorre a son pavillon tout comme l'Angola, l'Azerbaïdjan, l'Irak, le Paraguay, le Venezuela et même le Tuvalu, certains au Giardini, d'autres dans la ville de Venise.

Le Canada a son pavillon au Giardini depuis 1958, une espèce de coquillage en bois et en verre, renfoncé dans le jardin et coincé en sandwich entre deux autres pavillons dont j'oublie la nationalité. Le Québec, lui? Rien. Pour que le Québec puisse espérer avoir un pavillon au Giardini, même une cabane à chien en contreplaqué, il faudrait que sur son territoire jaillissent des tonnes de pétrole comme en Azerbaïdjan, ce qui risque d'arriver le jour où les poules auront des dents. Bref, le Québec n'en aura jamais les moyens. C'est triste, mais c'est comme ça.

Cette année, le Canada présente à Venise l'artiste torontoise Shary Boyle. Ça tombe bien et mal. Bien parce que Boyle est une artiste fascinante qui travaille la porcelaine et la dénature comme personne, créant une galerie de petits personnages lubriques et déjantés, absolument détonnants. Elle doit d'ailleurs sa plus grande rétrospective à la commissaire québécoise de l'UQAM, Louise Déry.

Sa présence à Venise tombe bien parce que c'est une artiste d'envergure. Elle tombe mal parce qu'elle m'empêche de chialer contre le nouveau processus de sélection mis en place par le gouvernement canadien en 2009.

Tant pis, je vais chialer tout de même. Car, jusqu'en 2009, la présence à Venise des artistes canadiens était le fruit d'un concours. Tous les commissaires en art du pays étaient invités à soumettre un projet. Le processus était ouvert, démocratique et réunissait les conditions pour que le meilleur gagne.

Mais en 2009, les règles ont changé. Depuis, c'est le Musée des beaux-arts du Canada qui gère le dossier. Si au moins on avait confié le mandat au seul musée d'art contemporain du Canada, je parle de notre MAC à nous, mais non! On a préféré donner ça à une grosse structure étatique à Ottawa.

Un jury de cinq personnes choisies par le Musée prend la décision finale. Les résultats ne sont pas toujours probants. Je me souviens encore de l'expo drabe et minimaliste de Steven Shearer en 2011. Si je suis restée cinq minutes dans le pavillon canadien, c'est beau. Il n'y avait rien à voir et rien à comprendre, sinon que l'art contemporain au Canada manquait furieusement d'envergure.

Depuis 1990, seulement trois artistes québécois ont représenté le Canada à Venise: Geneviève Cadieux, Jana Sterback et David Altmejd.

Trois Québécois en 23 ans, vous trouvez ça normal? Avec l'incroyable foisonnement de l'art contemporain au Québec? Moi, je trouve ce chiffre désolant. Autant nos jeunes cinéastes brillent à Cannes, autant leurs contemporains en art visuel semblent confinés au plan international, au rôle de figurants, voire d'astres mort-nés.

Le tableau est sombre et la situation semble insoluble pour le Québec. Pourtant, cette année, une lueur d'espoir est apparue. Louise Déry a, en effet, eu la belle idée de demander l'aide du CALQ pour envoyer la Québécoise Raphaëlle de Groot faire une performance à la Biennale. Une affaire un peu folle qui a duré trois heures, jeudi.

Trois heures, ce n'est rien, même pas une particule de poussière, au sein d'un évènement qui dure six mois. Pourtant pendant une heure, tous les professionnels de l'art, qui faisaient la file devant les pavillons, ont vu cette drôle de fille s'emballer la tête de mille et un déchets - rubans, papiers, prothèses en plastique - et devenir un carnaval déchu sur deux pattes. Puis ils l'ont vue marcher à tâtons, complètement aveuglée, jusqu'au bord de l'eau pendant que les flashs des photographes crépitaient autour d'elle. Un gondolier l'attendait pour la mener pendant une heure à travers les canaux de Venise. On raconte que les Vénitiens se pressaient à leurs fenêtres pour voir cette étrange sculpture vivante debout au milieu de la gondole.

Avec trois fois rien et une bonne dose de cran et d'imagination, le Québec a réussi à se faire remarquer à la Biennale. Souhaitons que ça se reproduise. Mieux encore: que ça devienne une tradition.