Le film a pour titre Sarah préfère la course. Mais le titre pourrait tout aussi bien être Sarah préfère les filles. Car c'est de cela qu'il est surtout question dans le premier long métrage de Chloé Robichaud: de l'attirance confuse et douloureuse de Sarah pour une camarade de course, de cet élan non assumé et non avoué qu'elle éprouve et dont elle se sauve en même temps.

Sarah préfère la course parce que sa course, elle la contrôle, alors que tout le reste lui échappe: sa vie, ses émotions, son coeur, ses désirs.

Je ne crois pas brûler un punch en révélant le noeud du film de Chloé Robichaud. Je crois même faire oeuvre utile et aider le spectateur à mieux comprendre ce film pudique et touchant où le non-dit triomphe souvent avec bonheur, parfois avec ambiguïté.

Je n'avais pas vu le film lorsque j'ai interviewé Chloé Robichaud pour La Presse avant Cannes. Ce jour-là, elle n'a jamais évoqué l'attirance de Sarah pour une fille ni parlé de sa propre orientation sexuelle. J'avais le sentiment diffus que le sujet la rendait mal à l'aise. Et comme je ne suis pas une adepte des coming out à l'arraché, j'ai laissé tomber, allant jusqu'à entendre qu'elle souhaitait un jour fonder une famille avec un mari, une erreur que j'ai dû corriger dans la version électronique du journal.

Des fois, le non-dit nous invite à écrire des faussetés. Je me pardonne cette erreur, mais pas l'autre: en février de cette année, Chloé Robichaud a fait la couverture du FUGUES, le mensuel de la communauté LGBT. Dans l'entretien avec la journaliste Julie Vaillancourt, Chloé se disait fière d'être lesbienne et ne voulait surtout pas le cacher. Du même coup pourtant, elle espérait être reconnue d'abord pour son cinéma et non uniquement pour son orientation sexuelle.

Chloé racontait aussi qu'elle avait vécu difficilement son adolescence à Québec où le sujet de l'homosexualité était tabou. L'arrivée à Montréal l'a soulagée d'un poids et l'a libérée. Avant l'entretien dans FUGUES, Chloé a accordé une entrevue en Europe au site pour gais et lesbiennes Têtu où elle a fait son premier coming out médiatique. L'exercice l'avait stressée, mais elle était heureuse de s'être assumée.

J'ai lu l'article du FUGUES au moment de sa publication. Mais, allez savoir pourquoi, je n'ai jamais fait le lien entre cette Chloé-là et celle que j'ai rencontrée. Aveuglement volontaire ou pure distraction de ma part, je ne le saurai jamais. Tout ce que je constate, c'est que la question de l'orientation sexuelle, surtout des lesbiennes, continue de susciter un malaise dans les médias.

Sans doute parce que les lesbiennes sont plus discrètes, mais aussi parce que ce sont des femmes.

Le meilleur exemple de ce que j'avance, c'est Xavier Dolan, à qui Chloé est souvent comparée pour son âge et sa précocité cinématographique. Avec Xavier, il n'y a jamais eu de gêne ou de non-dit. Dès son premier film, J'ai tué ma mère, tout était clair et assumé. Il était gai et c'était tant mieux.

Chloé Robichaud a de toute évidence plus de difficulté avec la question. Cela n'enlève rien à son film. Tout le contraire. Ce qui fait la force de Sarah préfère la course, c'est que c'est une oeuvre distincte, qui porte en elle toute la difficulté de la prise de parole lesbienne. Et qui la porte avec délicatesse et pudeur.

Dernièrement en acceptant son prix de lutte contre l'homophobie, la chanteuse Ariane Moffatt a évoqué avec générosité ce qu'elle avait dû traverser avant d'assumer son orientation sexuelle: le deuil d'une famille conventionnelle, le deuil de l'hétérosexualité, la peur de ne pas être une vraie femme, le difficile apprentissage d'une orientation sexuelle qu'elle a commencé par fuir.

Le récit d'Ariane, c'est en somme le résumé de Sarah préfère la course. Mieux que sa réalisatrice en entrevue avec les médias, le film lève le voile sur ce que c'est d'être une fille de 20 ans et de se découvrir différente. Mais surtout, ce film, c'est la naissance d'une voix singulière et importante: celle de Chloé Robichaud. À nous de l'entendre.