Lors de la présidentielle de 1998, au Venezuela, une blonde sculpturale du nom d'Irene Sáez est passée à un cheveu de battre le populaire Hugo Chavez. Pourquoi? Parce qu'elle avait une tête sur les épaules, un diplôme de sciences politiques, un parcours impeccable de mairesse d'un quartier populeux de Caracas et, surtout, parce qu'elle avait été élue, en 1981, Miss Venezuela, puis Miss Univers.

Le Canada a ses joueurs de hockey, le Brésil, ses champions de soccer et le Venezuela, ses reines de beauté. Pas à l'unité. À la douzaine.

Le Venezuela est une usine à Miss qui fabrique des beautés à la chaîne. Depuis 1952, 60 Miss Venezuela sont sorties de cette usine, mais aussi - et c'est une grande source de fierté nationale - six Miss Monde et six Miss Univers. Ainsi, l'industrie des Miss, qui carbure aux industries connexes des cosmétiques, de la chirurgie plastique, de l'orthodontie et du design de robes, de souliers et de bijoux, est la deuxième en importance au Venezuela, après le pétrole.

C'est ce que nous apprend Miss inc., captivant documentaire d'Orlando Arriagada diffusé demain à 20h, à RDI.

Au Venezuela, l'industrie des Miss n'est pas seulement une mine d'or. C'est un culte et une tradition, ancrée dans les villes et les villages. Chaque année, au moment du carnaval, on y élit la Miss du village chez les 18-25 ans, la Miss des 60 ans et plus et, finalement, la Miss des travestis.

Aux dires d'un prof de communications, l'industrie des Miss est l'une des rares instances entièrement démocratiques du pays. Ici, les classes sociales n'existent pas. Toutes les belles filles ont une chance égale, qu'elles soient nées dans un quartier chic ou dans un bidonville.

Miss Venezuela 2011, qui a remporté le titre de Miss Monde la même année, en est l'exemple éloquent. Orpheline à 8 ans, élevée dans un couvent, elle allait choisir la voie de Dieu quand elle a été happée par le mannequinat.

Dans Miss inc., nous suivons deux jeunes filles, Melisa et Maira, inscrites à des écoles de beauté et travaillant inlassablement leur démarche, leur posture, leurs manières et leur discours.

La première vient d'un milieu populaire, mais sa mère n'a pas hésité à s'endetter pour couvrir le prix exorbitant de sa formation (4600$). La deuxième rêve de se faire refaire le nez, les seins, les cheveux, alouette!

On ne devient pas toujours Miss grâce à sa beauté naturelle. En réalité, rares sont les Miss qui n'ont pas recours à la chirurgie plastique, dans un pays où on pratique de 30 000 à 40 000 augmentations mammaires par année, selon des statistiques fournies par l'Ordre des chirurgiens plastiques du Venezuela. Le phénomène a pris une telle ampleur qu'au printemps 2011, le président Chavez s'est lancé dans une charge à fond de train contre ce qu'il a qualifié de «pratique monstrueuse» qui pousse les femmes les plus démunies à s'endetter, alors qu'elles ont à peine de quoi manger.

La banalisation de la chirurgie plastique est un des aspects les plus troublants de l'industrie des Miss. L'autre, c'est l'âge où les futures Miss entrent dans le bal: 4 ou 5 ans.

«Les filles rêvent d'être Miss dans le ventre de leur mère», affirme une directrice d'agence de mannequins dans Miss inc. «Toutes les femmes enceintes d'une fille au Venezuela rêvent d'accoucher d'une Miss», ajoute-t-elle.

Des images de filles de 4 ans en talons qui défilent en se tortillant, apprennent à se maquiller ou à bien tenir une coupe de vin viennent confirmer que l'industrie des Miss n'a aucun scrupule à recruter au berceau.

Lorsqu'on leur demande pourquoi elles veulent être Miss, les petites filles recrachent les clichés dont on les abreuve depuis leur naissance.

«Parce que mon coeur a choisi ce destin», dit la première. «Pour devenir une vedette», dit la deuxième. «Parce que j'aime être vue», ajoute la dernière.

À les entendre, on croit comprendre que devenir Miss fait partie de la conquête de sa féminité et, encore plus important, de l'estime de soi. En voulant devenir Miss et en franchissant toutes les étapes pour y parvenir, les Vénézuéliennes se mettent au monde en tant que femmes. Et tant pis si cela vient avec une idée sexiste de la femme et un idéal de beauté standardisé à la Barbie, puisque les récompenses sont nombreuses.

En effet, peu importe si elles gagnent ou non, les Miss qui sont allées au front sont accueillies à bras ouverts dans la société civile. Les portes du monde professionnel s'ouvrent à elles. «Si un employeur a le choix entre deux candidates et que l'une des deux a été Miss, c'est elle qui aura le poste», assure la directrice d'une académie de la beauté.

Miss inc. ne porte aucun jugement sur cette industrie et se contente d'en explorer toutes les facettes. Au public de peser le pour et le contre - qui, dans ce cas-ci, semblent être à égalité.

D'un point de vue sociologique, on ne peut que s'incliner devant une tradition qui, depuis 60 ans, permet à des filles de toutes les conditions de partir à la conquête de leur féminité. Et d'un point de vue féministe, on peut se consoler en voyant dans cette industrie un rite initiatique qui invite essentiellement les filles à se dépasser. Et pourquoi pas?