J'ai beau m'appeler Petrowski et pas Depardieu, les mystères de l'âme russe m'échappent. Prenez Sergueï Filine, le directeur artistique du ballet du Bolchoï. À mes yeux, il est l'incarnation même des mystères de l'âme russe. Jeudi de la semaine dernière, alors que Filine rentrait chez lui tard le soir, un homme cagoulé lui a sauté dessus et a aspergé son visage d'acide. Filin a été transporté d'urgence à l'hôpital, brûlé au troisième degré.

Cela faisait plusieurs mois que Filine, directeur artistique du Bolchoï depuis 2011, faisait l'objet de menaces. Pneus lacérés, ordinateur piraté, appels anonymes en pleine nuit, ceux qui en voulaient à Filine n'y allaient pas de main morte. En décembre, la direction du Bolchoï lui a offert un chauffeur et un garde du corps. Filine les a déclinés, estimant que les auteurs de ce règlement de comptes vraisemblablement professionnel allaient se lasser. Erreur.

Les menaces se sont muées en attentat jeudi dernier. Filine a failli y rester. On a craint pour sa vie, mais surtout pour ses yeux. Il a subi plusieurs opérations. Son oeil gauche sera sauvé, mais probablement pas son oeil droit. Et surtout, celui qui fut longtemps un premier danseur talentueux, mais aussi un sacré bel homme, a été défiguré.

Mais cela ne faisait pas 24 heures que Filine avait été sauvagement attaqué puis opéré, qu'il est apparu à la télé, le visage recouvert de bandelettes percées de trous ensanglantés à la hauteur des yeux, pour raconter d'une voix trop normale la séquence des événements.

Filine a continué d'accorder des entrevues de son lit d'hôpital à plusieurs médias, dont la Pravda.

Déjà, que Filine ait l'énergie de parler aux médias, alors qu'il vient d'être victime d'un horrible crime qui a failli le rendre aveugle, est étonnant. Plus étonnant encore est le discours que tient le directeur artistique. D'abord, il se blâme lui-même de ne pas avoir été assez vigilant en ne prenant pas au sérieux les menaces dont il faisait l'objet. Un peu plus et Filine disait que tout ça, c'est de sa faute.

Puis Filine a affirmé qu'il a hâte de rentrer au boulot. Vous avez bien lu: il a hâte de revenir dans le panier de crabes du Bolchoï, là où les rivalités sont aussi légendaires que sanglantes, là où des histoires d'aiguilles insérées vicieusement dans les costumes ou d'éclats de verre glissés en douce dans les pointes des chaussons de ballerines sont monnaie courante depuis des décennies. Là surtout où le dernier directeur artistique a dû démissionner après que des photos de lui au lit avec des hommes sont apparues sur le Net.

Au lieu de déplorer le caractère malsain et parfaitement pourri de cette compagnie de ballet qui semble rendre les gens fous, Filine a hâte d'y reprendre du service. Mieux encore: il affirme qu'il n'est pas en colère ni désespéré, mais joyeux parce que tout compte fait, l'épreuve qu'il vient de traverser n'est pas si terrible. «J'ai vécu pire, a-t-il raconté, notamment quand j'ai dansé Le lac des cygnes sur une jambe cassée. Mais je n'avais pas le choix. Ma mère invalide était assise dans la première rangée. S'ils avaient annoncé que je m'étais blessé, elle n'aurait pas survécu alors j'ai dansé et enduré jusqu'à l'entracte.»

Non seulement l'âme russe, surtout l'âme russe des danseurs, n'a pas peur de la souffrance, elle la recherche et l'accueille à bras ouverts.

Toujours dans la même entrevue, Filine s'émerveille de voir pleurer les jeunes danseurs qui n'ont pas les premiers rôles dans un ballet. Puis il se félicite d'avoir monté un corps de ballet qui ne pense qu'à une chose: travailler et encore travailler. Plus Filine parle et plus on conçoit qu'il puisse taper sur les nerfs et même réveiller des pulsions meurtrières. De là à cautionner le ou la malade qui l'a aspergé d'acide, il y a un pas que je ne franchirai pas. Que voulez-vous, je n'ai pas l'âme assez russe, et bien franchement, je ne m'en plains pas.

ON EN PARLE TROP

Le lipsync de Beyoncé à la cérémonie d'investiture du président Obama. Quel est le problème? Si Beyoncé ne savait pas chanter ou si elle avait substitué la voix de Céline à la sienne, je comprendrais l'émoi. Mais elle n'a fait que mimer sa propre voix enregistrée la veille. Il faut vraiment n'avoir rien à faire ou à dire pour décrier cette particule de poussière synthétique égarée dans l'océan de l'Histoire.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

Notre Home, ce nouvel hymne hip-hop bilingue de la réconciliation nationale. Le ministre Lisée a craché 20 000$ pour le marketing de la chanson de David Hodges conçue pour remonter le moral des jeunes Anglos Québécois. Le hic, c'est que depuis son lancement, la chanson ne tourne nulle part. Et quand on clique sur l'onglet de sa Tournée québécoise dans les écoles, on tombe sur une page totalement blanche. Vingt mille dollars, c'est cher la page blanche.