Faudra-t-il l'appeler Depardiev, Depardievski ou Deparpoutine? Je parle de ce nouvel acteur russe qu'est devenu Gérard Depardieu.

J'écris «acteur», mais je ne suis plus sûre que ce soit le bon mot ni le bon métier, depuis que le monstre sacré du cinéma français a renoncé à sa nationalité française pour embrasser la nationalité russe et devenir l'animal de compagnie de Vladimir Poutine.

«Clown» serait sans doute plus approprié pour décrire l'art que pratique depuis quelques jours Gérard Depardieu dans sa lointaine Mordovie: clown, guignol, bouffon, pantin, pitre pour rester poli, et gros con, pour le rester un peu moins.

En même temps, comment être surpris par les dernières frasques de Depardieu, lui qui les collectionne comme des médailles? Au cours des 10 dernières années, Depardieu a fait tellement de conneries que toutes les aligner couvrirait la distance de Paris à Saransk, en Mordovie, ce haut lieu de la culture universelle dont il est désormais le triste ambassadeur.

Tout cela pour dire que le Cirque Depardieu n'a pas commencé hier ni même en novembre dernier, quand le clown en chef s'est exilé en Belgique pour protester contre la taxation à hauteur de 75% des Français les plus fortunés.

Le Cirque Depardieu est un vieux cirque aussi usé que le vieux singe qui l'a fondé. Sous son chapiteau, on trouve de moins en moins de bons films et de plus en plus de mauvais scénarios, faits d'excès de bouffe et d'alcool, d'accidents d'auto et de moto, d'amours tourmentés, de la mort d'un fils, d'un quadruple pontage, d'une greffe du foie, d'investissements pétroliers foireux à Cuba avec Céline et René, de fréquentations de millionnaires douteux, de lectures de Saint-Augustin dans les églises du monde, dont la basilique Notre-Dame de Montréal, et de plusieurs allers et retours en Russie, qui pour un festival de cinéma, qui pour un verre avec Gorbatchev en 1993, qui pour une pub de ketchup russe, qui pour la banque Sovietski.

Le Cirque Depardieu est un vieux cirque, c'est vrai, sauf que cette fois, dans l'empressement suspect de Poutine à lui offrir l'asile politique, le Cirque Depardieu a touché le fond et perdu à jamais le peu de crédibilité qui lui restait.

Passe encore quand, un sourire niais aux lèvres, Depardieu brandit son nouveau passeport russe à la face du monde. Passe encore quand il parade comme un hippopotame fleuri dans sa chemise folklorique russe. Le spectacle est disgracieux, mais personne ne nous force à le regarder.

Mais entendre Depardieu vanter les mérites de cette grande démocratie qu'est la Russie, en taisant les meurtres des journalistes et les emprisonnements des opposants au régime, donne mal au coeur quand ça ne fait pas carrément vomir.

Et puis impossible de ne pas se demander à quoi Depardieu pensait quand Poutine lui a offert la Mordovie sur un plateau d'argent. La Mordovie, pour ceux qui l'ignorent, est à 500 kilomètres de Moscou. C'est une région morne et glaciale aussi accueillante qu'un cimetière et réputée pour ses camps de travail. C'est d'ailleurs dans un camp en Mordovie qu'une des filles du groupe Pussy Riot purge une peine de deux ans pour avoir chanté un hymne punk contre le régime dans une église.

Eh oui, dans cette grande démocratie qu'est la Russie, des jeunes filles sont balancées en prison pour une chanson...

On ne sait pas à quoi pensait Depardieu quand on lui a offert ce cadeau empoisonné. En revanche, on sait à quoi pensait Poutine. Il devait se frotter les mains de plaisir et se féliciter d'avoir su si bien manipuler Gérard Depardieu.

Grâce à la stupidité de l'acteur et à son besoin pathologique d'attention, Poutine l'a instrumentalisé à l'os. La manoeuvre a permis à Poutine de retrouver un brin du vernis international qu'il avait perdu avec l'affaire de Pussy Riot.

Bref, Poutine n'a pas offert un passeport russe et surtout une datcha en Mordovie à Depardieu pour rien. Il y avait dans son geste un calcul politique grossier. Depardieu s'est fait prendre comme un enfant d'école sinon comme un gros cave.

Mais comme le gros cave est aussi une girouette qui change de trip régulièrement, Depardieu pourrait très bien d'ici quelques mois retourner sa veste, renier sa nationalité russe et rentrer en France payer ses impôts.

En attendant, l'écrivain et dissident russe Édouard Limonov lui a lancé un défi. Il a donné rendez-vous à Depardieu à Moscou sur la place publique où tous les 31 du mois, des citoyens russes défendent l'article 31 de la Constitution qui garantit la liberté de rassemblement.

Or, la liberté de rassemblement est tellement respectée dans cette grande démocratie qu'est la Russie qu'à tout coup, Limonov se fait arrêter.

Le 31 janvier, j'espère que Depardieu sera au rendez-vous et qu'il se fera arrêter, histoire de rendre à Poutine la monnaie de sa pièce et d'en faire le vrai clown de l'histoire.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca