Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette, qui met en vedette la lumineuse Évelyne Brochu dans le tumulte du conflit israélo-palestinien, est un film courageux, mais confus.

Lorsque je suis sortie du film, il y a déjà deux mois, je ne savais trop quoi penser. J'étais éblouie par les images douloureuses, magnifiquement filmées et mises en scène. Le contraste entre la misère surpeuplée de Ramallah et les cafés branchés et les condos de luxe de Jérusalem était saisissant. Je sentais confusément ce qu'Anaïs voulait dire au sujet de Chloé, jeune obstétricienne québécoise qui vit à Jérusalem, travaille dans un dispensaire à Ramallah et finit par se faire bouffer par la guerre.

Mais certains éléments du film me laissaient sceptique. Le meilleur exemple est le personnage d'Ava, jeune militaire israélienne, amie et voisine de Chloé, qui travaille au checkpoint que Chloé traverse tous les jours.

Cette jeune fille en uniforme, plus obsédée par son tube de rouge à lèvres que par la guerre, mais obligée comme tous les jeunes Israéliens de faire son service militaire, ne m'apparaissait pas crédible: trop jeune, trop féminine, trop sympa, bref à des années-lumière des guerriers cruels et sanguinaires dont j'imaginais l'armée israélienne peuplée.

J'avais tout faux. Ava existe pour vrai. Peut-être pas sous ce nom, mais elle existe, ainsi que des dizaines d'exemplaires aussi jeunes, désinvoltes et éprises de rouge à lèvres qu'elle.

L'actualité m'en a fourni la preuve et les photos pas plus tard qu'hier.

Pendant que le drame et la dévastation font rage dans les territoires occupés, que l'heure est sombre et sanglante, que des dizaines de civils et d'enfants meurent, Ava et ses amis en uniforme s'amusent à se prendre en photo et à afficher leurs clichés sur leurs comptes Twitter.

Le résultat est un florilège hallucinant et surréaliste de jeunes soldats d'à peine 20 ans qui arborent leur tenue de combat et parfois leurs armes d'assaut, mais qui sont souriants et insouciants, comme s'ils étaient dans un camp de vacances ou au club Med. La guerre? What guerre?

On y voit, entre autres, le sosie d'Ava, en tenue de combat, pouces victorieux tendus vers la caméra et sourire sexy fendu jusqu'aux oreilles sous la mention Debout avec Israël. On y voit aussi Ruth, somptueuse brunette, look de top-modèle malgré sa tenue de combat, prise en photo dans l'ascenseur avec son sac Vuitton, l'air absorbé par un texto sur son iPhone.

Il y a aussi Ella et Ziv, deux jolies filles qui ont à peine l'âge de voter, si je me fie aux nattes qui cascadent sur leur uniforme, et qui, avec un sourire radieux, envoient des bisous à la caméra. Ne manque à cet album de famille désolant que la jeune militaire en bikini, mitraillette en bandoulière, sur une plage de Jérusalem et dont la photo est parue la semaine dernière.

Inutile de dire que les photos d'Ava et de ses amies ont fait le tour du web et y ont répandu une onde de choc et de stupeur. Comme l'a écrit quelqu'un sur le site de CBC: «Ils sont jeunes, ils sont beaux, et comme beaucoup d'ados dans le monde, ils vivent leur vie sur le web. Mais ils sont aussi membres de l'Israel Defense Forces (IDF), un groupe militaire engagé dans une guerre meurtrière à Gaza».

Ils sont jeunes, ils sont beaux et, selon des statistiques, un tiers de leurs membres sont de jeunes femmes. Cinquante pour cent d'entre elles seraient des officiers, ce qui fait de l'IDF une des armées les moins sexistes et les plus égalitaires du monde. Tout un exploit, messieurs-dames!

Depuis que j'ai vu ces photos, je ne cesse de repenser au film d'Anaïs Barbeau-Lavalette. Et surtout à Ava et à son rouge à lèvres glissé en douce à Ramallah dans un élan de solidarité féminine qui tournera court et finira dans un bain de sang.

On ne saura jamais vraiment pourquoi les jeunes écervelés de l'IDF ont affiché ces photos odieuses sur Twitter. Parce qu'ils vivent dans un monde à ce point virtuel qu'ils n'ont aucune véritable conscience de la réalité de ce qu'ils accompliront?

Pour masquer leur peur et leur désarroi? Parce que l'exemple vient de haut? L'IDF a en effet un blogue officiel ainsi qu'un compte Twitter où, le 15 novembre dernier, ils ont annoncé en primeur une attaque imminente contre le Hamas.

Il reste une dernière hypothèse: les jeunes écervelés de l'IDF ont affiché ces photos parce qu'ils sont contents d'aller à la guerre et de tuer des gens. Si c'est le cas, je ne leur souhaite pas de mourir. Mais si jamais ils devaient tomber sous les balles, j'espère qu'ils continueront de sourire.