Il ne manquait qu'une tache de sang ou peut-être un trou de balle, à la manchette d'un tabloïd montréalais bien connu cette semaine. Au-dessus du titre, Crise au cinéma québécois, deux chiffres, ceux du box-office du nouveau James Bond:  2,4 millions. Et ceux de Tout ce que tu possèdes le dernier Bernard Émond: 28 000$. Loser, loser, criait le sous-texte invisible de ce chiffre misérable au milieu d'une manchette malhonnête et démago.

Car on ne peut pas comparer une franchise commerciale qui dure depuis 50 ans avec un film discret et intimiste fait au Québec avec un budget total qui équivaut probablement à l'argent dépensé pour les sandwichs sans croûte de Mister Bond et de son équipe.

Pas plus qu'on ne peut opposer un film à l'affiche de 10 petites salles avec une pompe à fric comme Skyfall lancée sur 138 écrans, au Québec seulement! Remarquez, le soir où je suis allée voir Skyfall chez le distributeur à popcorn Guzzo - Vincenzo de son prénom - nous étions une cinquantaine dans une salle de 800. Au Beaubien à la même heure pour Tout ce que tu possèdes, ils étaient 48 dans une salle de 200. C'est qui le loser, hein Vincenzo?

Mais ce qu'il faut retenir de cette crise un brin fabriquée, c'est que le box-office ce n'est pas tout. Voir le cinéma uniquement à travers ce prisme, c'est adhérer à une logique marchande qui ne produit pas des films, mais des objets de consommation vides de sens et bourrés de calories.

Et puis un bon box-office n'est pas toujours un gage de qualité. À preuve, la vaste majorité des superproductions américaines qui font sonner les caisses et dégouliner le beurre transgénique sur le popcorn de Vincenzo sont presque toujours absents de la course aux Oscars. Même Rotten Tomatoes confirme leur nullité.

On ne se cachera pas qu'à 4%, la part de marché du cinéma québécois cette année est la plus faible depuis longtemps. La concurrence féroce des films à franchise à la sauce James Bond, Spiderman ou Twilight, n'a pas aidé. Pas plus que la cadence frénétique de la sortie des films américains. Avant, un film québécois devait se battre contre deux ou trois canons américains simultanément. Maintenant, c'est contre sept ou huit. C'est en partie pourquoi les Québécois ne se sont pas rués sur les films d'ici comme à l'époque des Boys, de Bon cop Bad Cop, d'Aurore, de Crazy ou même d'Incendies et de Monsieur Lazhar. Le producteur Roger Frappier croit pourtant qu'il suffirait d'un seul film qui fasse huit millions ce mois-ci pour que la part de marché de notre cinéma grimpe instantanément.

Pour Roger Frappier et la demi-douzaine de producteurs rencontrés par La Presse cette semaine, le cinéma d'ici se porte bien, merci. Nos films sont invités dans les festivals du monde dont les plus prestigieux comme Cannes, Berlin et Venise.

Notre cinéma a gagné un Oscar grâce à Denys Arcand et deux nominations deux ans de suite:  du  jamais vu pour une si petite et jeune cinématographie. Cette année seulement, sept films québécois ont été lancés en France dans un marché, traditionnellement hostile à notre cinématographie.

Non seulement nos films s'exportent, mais nos cinéastes aussi. En ce  moment, Ken Scott, Denis Villeneuve, Charles Olivier Michaud, Jean Marc Vallée et Philippe Falardeau travaillent sur des films à l'étranger. Une crise? Vous voulez rire?

Il y a plus d'un mois, mes patrons de La Presse m'ont demandé d'animer une soirée à L'Astral avec des invités de mon choix. J'ai choisi d'inviter Philippe Falardeau, Luc Dionne, Émile Gaudreault et Micheline Lanctôt non pas pour parler de crise, mais de cinéma. Nous parlerons peut-être ou peut-être pas de box-office, mais surtout des raisons pour lesquelles ils font des films et de ceux pour qui ils les font. Ça se passe à L'Astral, au 305, rue Sainte-Catherine Ouest, mardi soir à 19h30. Il reste encore des billets. Nous vous attendons en grand nombre, même si le popcorn n'est pas fourni.