Elle a toujours été une «Material Girl». Mais, samedi soir, le temps d'un spectacle, Madonna est devenue, dans ses propres mots, «une French Canadian girl» au profit des 72 000 personnes rassemblées sur les plaines d'Abraham, à Québec.

Le spectacle était identique à celui présenté à Montréal, mais l'esprit était différent. Le lieu, l'immense foule (la plus importante depuis le début de la tournée MDNA) et l'insistance d'une Madonna souriante à jouer à la Canadienne française de souche et à voir Québec non pas comme un château fort caquiste, mais comme le berceau du Canada français, ont fait la différence.

«Thank you, French Canada! Thank you, Quebec city!» a-t-elle clamé au milieu du spectacle de deux heures, où l'on a vu défiler son fils Rocco, 11 ans, qui chante et danse dans quelques numéros, le pianiste montréalais Ric Key Pageot, le trio basque Kalakan, son nouvel amoureux Brahim Zaibat, danseur et chanteur hip-hop d'origine algérienne né 25 ans après elle, sans oublier une troupe de danseurs et d'acrobates hors pair.

La chanteuse avait beau se péter les bretelles canadiennes-françaises, il reste qu'elle n'a pas prononcé un mot dans cette langue de la soirée, sauf pour compter «un, deux, trois, quatre» avant de lancer une de ses chansons. En revanche, elle s'est emparée du drapeau fleurdelisé tendu par un fan, l'a brandi bien haut pour que tous le voient, soulignant qu'il s'agissait en réalité du drapeau de Jeanne d'Arc, une dame investie d'une mission à laquelle elle semble s'identifier.

Puis, comme à Montréal et à Paris, mais avec ce qui ressemblait à un surplus d'émotion, Madonna a rappelé que sa mère était canadienne-française et qu'elle venait de ce coin de pays.

Sur le plancher des vaches de la section Or, entourée de gens qui avaient payé leur billet 300$, je me suis fait demander à plusieurs reprises si j'avais vu le même spectacle à Montréal. Comme si cette immense machine réglée au quart de tour avec ses projections hyper sophistiquées de Moment Factory, ses tableaux qui s'enchaînent à un train d'enfer et sa mise en scène théâtrale signée Michel Laprise pouvait se permettre de changer d'une ville à l'autre.

La vérité, c'est que le scénario de la tournée MDNA est coulé dans le béton. À Québec comme ailleurs, on a eu droit au même voyage qui commence en enfer avec profusion de mitraillettes et d'éclaboussures de sang, et qui se termine dans la lumière de la rédemption.

Rien ne change sauf les rares petites plages d'impro que Madonna s'aménage pour briser la routine.

À Montréal, pour la chanson Human Nature, moment du spectacle où Madonna baisse son pantalon et montre ses fesses, elle avait fait inscrire sur le bas de son dos «Free Pussy Riot», incitant la foule du Centre Bell à scander avec elle «Free Pussy Riot».

À Québec, elle est revenue à l'inscription initiale «No Fear», sans mentionner les filles du groupe punk emprisonnées en Russie et sans non plus faire un appel à la révolution.

À Montréal, à la fin du numéro où apparaît fiston Rocco, Madonna a fait voter la foule sur son béret. «Je le garde ou je l'enlève?»

À Québec, aucune consultation populaire au sujet du couvre-chef noir. La madone a préféré interpeller un type en chemise verte, bras croisés, devant elle, qui ne dansait pas. «What's the matter with you? (C'est quoi, ton problème?)», lui a-t-elle lancé, mi-blagueuse, mi-fâchée.

Une chose est demeurée la même à Montréal et à Québec: la croix gammée dessinée sur le front de Marine Le Pen dans l'époustouflant montage vidéo où défilent des images de guerre et de dictateurs sur la musique de Nobody Knows Me. C'est un des temps forts du spectacle et, ironiquement, un numéro dont Madonna est absente pour cause de changement de costume.

La rumeur populaire voulait qu'après la poursuite pour diffamation intentée par le Front national, Madonna eût fait remplacer la croix gammée par un point d'interrogation sur le front de la blonde Marine. En Europe peut-être, mais pas en Amérique du Nord.

Est-ce que le spectacle des plaines a été aussi mémorable qu'on l'avait prédit? Pour les gens de bonne volonté, refusant de bouder leur plaisir malgré 12 heures d'attente dans la chaleur et une vue partielle ou carrément obstruée, oui. Pour les autres - et j'en croisé plusieurs -, frustrés par la trop grande théâtralité du spectacle et par le refus de Madonna d'enfiler ses tubes afin de mieux vendre ses nouvelles chansons jugées moyennes, c'était une déception.

«Le spectacle d'Elton John sur les plaines a levé mille fois plus que ça!», a fulminé une jeune femme de la section B où, selon elle, les gens ont passé la soirée à parler. Régis Labeaume, le vaillant maire de Québec, était moins sévère, sauf pour la référence à Jeanne d'Arc qu'il a jugée déplacée. Depuis sa voiture de fonction, il a affirmé avoir passé une belle soirée même si son coeur de rockeur craque plus pour Metallica.

Quant à la Montréalaise qui signe cette chronique, elle a l'impression d'avoir vu le tiers du spectacle qu'elle a vu à Montréal. Les plaines d'Abraham ne sont pas le lieu idéal pour un spectacle aussi audacieux dans sa théâtralité. Heureusement, il y avait les étoiles, l'air doux de l'été et ce mythique champ de bataille qui, à minuit, s'est vidé avant de se transformer en dépotoir. Ne manquait qu'une équipe de caquistes armés de balais pour venir y faire le grand ménage.