Champagne pour tout le monde, caviar pour les autres, chantait avec ironie Jacques Higelin. À peu de mots près, mais cette fois sans une once d'ironie, c'est un peu la chanson que reprend Dominic Champagne dans Le gouvernement invisible, sorte de manifeste de 80 pages, arrivé en librairie hier et écrit dans l'urgence de défaire le gouvernement libéral de Jean Charest.

Ayant finalement décidé de ne pas se lancer en politique active, Champagne y expose le projet et les idées qu'il aurait défendus en faisant du porte à porte dans Outremont s'il s'était présenté comme indépendant dans la circonscription de Raymond Bachand.

L'allusion au champagne n'est pas qu'un mauvais jeu de mots que Dominic me pardonnera, je l'espère. Elle m'est venue en lisant le passage sur une future Constitution québécoise. Cette Constitution selon Champagne garantirait «à tous les citoyens le droit à la recherche du bonheur au sein d'une démocratie économique et écologique en terre française d'Amérique». Amen.

J'avoue que ce droit au bonheur m'a fait tiquer, notamment parce qu'il n'y a pas concept plus flou que le bonheur qui, dans sa manifestation matérielle du moins, peut autant prendre la forme d'une piscine hors terre que d'un jet privé. Évidemment, Champagne ne parle pas que de bonheur matériel. Même que c'est la forme qui l'intéresse le moins, bien qu'il écrive qu'il n'y a pas de honte à être riche.

Ce qu'il revendique avant tout, c'est une sorte d'état de grâce, de bien-être et de plénitude pour tous les Québécois, imaginant même un gouvernement idéal avec Martine Desjardins à la Jeunesse, Jacques Duchesneau à la Sécurité publique, Phyllis Lambert au Patrimoine, Richard Desjardins au Plan Nord et Fred Pellerin comme... premier ministre! Un gâteau aux anges avec ça?

C'est un drôle d'objet que ce livre. Le titre et la citation de Theodore Roosevelt au début sur «ce gouvernement invisible derrière le gouvernement visible, qui ne doit pas fidélité au peuple et ne se reconnaît aucune responsabilité», laisse présager un procès d'intention, voire une enquête avec preuves et exemples à l'appui, contre ces pouvoirs occultes qui gouvernent à la place du gouvernement et que Champagne a âprement combattus pendant sa croisade contre les gaz de schiste. Il n'en est rien.

Exception faite de certains courts passages sur le sujet, l'essentiel du livre porte sur les idées de Champagne pour un Québec idéal, plus riche, plus heureux et entièrement maître de ses ressources naturelles. Empruntant tantôt à la gauche, tantôt à une droite modérée, et favorisant «la rencontre d'une multitude de tendances sous un même chapiteau pour faire en sorte que les antagonismes s'apprivoisent», ses idées ne sont pas mauvaises en soi. Plusieurs sont légitimes et tombent sous le bon sens même. Reste qu'à leur contact, on peut difficilement refouler le sentiment que ces idées émanent d'un preacher, lequel est convaincu que ses idées sont bonnes et importantes tout simplement parce qu'il les pense.

Heureusement, ce sentiment se dissipe dans certains passages plus personnels, notamment lorsque Champagne évoque son père, Roland Champagne, sous-ministre au Tourisme qui, en 1974, au nom du gouvernement du Québec, a racheté l'île d'Anticosti pour en faire non plus un terrain de chasse réservé aux riches Américains, mais un parc disponible à tous les Québécois. On imagine bien la colère de son fils quand 30 ans plus tard, le gouvernement Charest a vendu à des intérêts privés des permis d'exploitation de pétrole et de gaz sur l'île. Sa colère n'a fait qu'augmenter en septembre 2010 dans la salle municipale de Saint-Édouard-de-Lotbinière, lors de cette fameuse soirée organisée par l'Association pétrolière et gazière du Québec et présidée par André Caillé. Ce soir-là, Champagne a découvert le sentiment d'indignation. «Ce sentiment, écrit-il, ne m'a pas quitté depuis.»

L'indignation de Champagne n'est pas feinte. Son engagement citoyen, déclenché après avoir frôlé la mort à la suite d'une opération sous anesthésie générale, non plus. N'empêche que Champagne me semble nettement plus efficace (et utile) dans les spectacles engagés qu'il crée que dans les programmes politiques qu'il imagine. C'est pourquoi il ne faudra pas manquer la reprise du magnifique Tout ça m'assassine du 3 au 13 octobre à la Cinquième Salle de la Place des Arts. Et cela, peu importe si Champagne gagne ou perd ses élections.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca