Si j'étais un père, en cette veille de ma fête annuelle, je prendrais contact avec les gens chez National pour qu'ils lancent une vaste campagne de relations publiques, histoire de revaloriser le rôle de père dans nos sociétés.

J'en profiterais pour leur demander de repenser à cette fête qui passe quasiment inaperçue après les feux d'artifice de la fête des Mères et qui, la plupart du temps, ressemble à une «vente de feu» de bâtons de golf et de barbecues.

L'iniquité dont sont victimes les pères ne s'arrête pas au Canadian Tire du coin. Elle se prolonge indûment dans la culture populaire et tout particulièrement dans les librairies où il y a rarement des livres intéressants qui traitent de la paternité.

Une fois qu'on a lu Père manquant, fils manqué de Guy Corneau, on a à peu près tout lu ce qui est pertinent sur le sujet.

Mais les choses sont peut-être en train de changer comme en témoigne ce roman que j'ai acheté par hasard à l'aéroport Trudeau ce printemps, un livre de 300 pages haletant, fascinant, que j'ai lu d'une traite. Le titre? The Good Father. Le bon père.

L'auteur, Noah Hawley, scénariste à la télé pour des séries comme Bones, est un jeune père de 30 ans et des poussières. Pendant que sa femme était enceinte de leur premier enfant, il est devenu obsédé par la peur d'être un mauvais père (air maternel connu) et la peur encore plus grande, de mettre au monde un enfant qui tournerait mal. De cette peur est né un thriller psychologique construit comme une enquête policière, qui a fait sensation sur le marché anglo-saxon et qui ne devrait pas tarder à être traduit en français.

Le narrateur du récit est un homme qui a réussi sa vie: chef du service de rhumatologie dans un grand hôpital new-yorkais, réputé et reconnu pour ses recherches sur les maladies orphelines, marié en secondes noces à une femme épatante, belle maison à Westport au Connecticut, d'adorables jumeaux de 10 ans, tout baigne dans la vie du Dr Allen. Et puis arrive ce petit jeudi soir, soir de pizza chez les Allen. En allumant la télé, le bon docteur apprend qu'un candidat à la présidence américaine, qui a tous les traits d'un Bill Clinton, a été abattu à bout portant par un jeune vagabond de 20 ans: Daniel Allen, son fils né de sa première union. C'est un réveil brutal pour ce père à la feuille de route irréprochable.

Plusieurs critiques ont qualifié le roman de pendant masculin d'Il faut qu'on se parle de Kevin, coup de massue littéraire de Lionel Schriver qui raconte la quête d'une mère pour comprendre la folie meurtrière qui s'est emparée de son fils adolescent.

La comparaison entre les deux est assez juste, d'autant plus que le père de Kevin, qui ne veut jamais discuter des problèmes de comportement de son fils, partage un grand trait avec le père de Daniel: le déni, ce refus puissant et tenace qui empêche de voir la réalité et d'accepter l'âpreté de ses faits.

Ainsi, même si Daniel s'avoue coupable dès son arrestation, son père est persuadé qu'il est victime d'un complot politique et qu'il a été manipulé par des forces occultes. Comment pourrait-il en être autrement? Accepter que son fils soit coupable, c'est accepter que son sang ait engendré un tueur. Impensable!

Mais au fil des pages, ce qui paraît impensable et impossible au père de Daniel finit par faire son chemin jusqu'à sa conscience alors qu'il écrit: «J'étais enfin prêt à accepter la vérité: à savoir que Daniel était coupable, que quelque part en cours de route, il s'était brisé et que personne n'avait été là pour le réparer.»

Ce constat poignant résume la pensée de Noah Hawley, convaincu que les parents sont les premiers responsables de ce que deviendront leurs enfants.

Ce roman n'est pas très joyeux, j'en conviens, mais la lente prise de conscience de ce père est ce que j'ai lu de plus émouvant sur le sujet depuis longtemps. Je souhaite à tous les pères de le recevoir en cadeau, demain ou l'année prochaine, glissé dans le sac de golf ou sous le couvercle du barbecue. Bonne fête, messieurs.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrowski@lapresse.ca