29 degrés au thermomètre. Plein soleil sur Montréal et sa banlieue. Aux haut-parleurs du Carrefour Laval, une voix vient d'annoncer une séance de signatures à la boutique Montblanc à 16h avec Lang Lang, le pianiste de renommée internationale. Nous sommes lundi. Le lendemain, Lang Lang doit donner un récital à guichets fermés à la Maison symphonique. En attendant, il fait un temps radieux, plus propice à ouvrir sa piscine hors terre qu'à s'enterrer vivant dans un centre commercial dans l'espoir d'obtenir l'autographe d'un prodige chinois du piano. Malgré cela, je reste confiante et convaincue que les Lavallois seront nombreux au rendez-vous. Après tout, comme le dit la pub, vivre à Laval, c'est profiter de la diversité de l'offre culturelle, ce qui sous sous-entend qu'il n'y a pas que des centres d'achats à Laval. Il y a aussi une vie culturelle dont les abonnés doivent être aussi nombreux que cultivés. Tous, en plus, doivent bien connaître Lang Lang. Qui ne le connaît pas? Il est le seul artiste classique à avoir des affiches de la taille de King Kong sur Times Square. Star de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin, ambassadeur de bonne volonté de l'Unicef, invité à jouer à la Maison-Blanche comme au Nasdaq, Lang Lang, qui aura 30 ans le 14 juin prochain, a probablement plus de sponsors (commanditaires) que ses pianos ont de touches blanches. Sony, Audi, Adidas, Telefonica, Ericsson et Montblanc, autant de marques dont il est l'emblème, pour ne pas dire le vendeur enthousiaste et assumé. Il n'y a pas si longtemps, il avouait d'ailleurs au journaliste du Figaro que l'argent de ses sponsors lui rapporte plus que ses concerts et la vente de ses CD. «Je ne vois pas pourquoi les cool guys, comme les rock stars, les acteurs et les sportifs, se réserveraient les contrats publicitaires. Les musiciens classiques travaillent aussi très dur», plaidait-il avec aplomb.

Il est passé 4 h à la boutique Montblanc du Carrefour Laval, la seule boutique au Québec qui vend la gamme complète des produits Montblanc. Or pour l'instant, les montres, plumes fontaines, bijoux, ceintures et mallettes en cuir dont les prix défient l'entendement sont plus nombreux que les fans de Lang Lang. Pour être tout à fait honnête, si ce n'était du personnel de la boutique, des trois attachés de presse, des deux journalistes, du photographe et de la blogueuse, il n'y aurait pas un chat. C'est peut-être un mal pour un bien, puisque l'homme le plus travaillant du piano classique brille par son absence. Vers 4h30, son agent appelle pour dire que leur chauffeur a eu le malheur de naître à Toronto et donc, de ne rien connaître aux fluctuations de la circulation lavalloise. Traduire: nous sommes pognés quelque part dans un bouchon sur la 15 et arriverons peut-être un jour, peut-être jamais.

4h45. Le champagne dans les flûtes est tiède, les chocolats disposés dans une assiette sont sur le point de virer en fondue, tandis que les piles de CD de la bande son du jeu de vitesse Gran Turismo, dont Lang Lang est l'interprète, attendent dans le désoeuvrement le plus complet. Ce qui n'est pas mon cas. Grâce à Lang Lang qui se fait attendre, je découvre la profondeur de l'engagement pour la culture de Montblanc, une entreprise allemande, que j'avais toujours prise pour française, fondée en 1906. Devant mes yeux ébahis scintille la plume fontaine Joseph II, moulée dans l'or jaune 18 carats en hommage à un empereur autrichien et mécène de Mozart. Vous connaissez Mozart, me demande le vendeur comme s'il s'agissait d'un obscur compositeur né en Papousie. Euh, pas personnellement, non. Mais je connais désormais le prix de la plume Joseph II: 2260$. Nous enchaînons avec la plume Hitchcock en laque noire et rayures argentées qui se vend pour la modique somme de 4120$. Persuadé que je connais encore moins le grand Hitch, le vendeur m'explique que c'est le gars qui fait les films d'horreur. D'horreur? Vraiment? Se succèdent la plume John Lennon en laque blanche (3715$), celle de Marlène Dietrich et celle de Grace Kelly. Mais toujours pas de Lang Lang à l'horizon. À 5h, une première journaliste a dû quitter. Je vais bientôt devoir l'imiter et m'éclipser sans ma copie autographiée de la bande son de Gran Turismo. Dommage.

Lang Lang est finalement arrivé à 5h30. On m'a envoyé la photo pour le prouver. Hormis le personnel, un seul chat lavallois s'est déplacé pour le rencontrer. On me dit que Lang Lang a mangé des chocolats, bu un peu de champagne et qu'il a fait ce qu'aucun rock star ou cool guy n'aurait fait à sa place: il s'est excusé de son retard. Excusé à profusion. J'en ai maintenant la confirmation: les musiciens classiques travaillent très fort, plus fort que les autres. Pour le rayonnement de la musique classique, mais surtout, pour être aimés. «Mon ambition est d'être l'un des plus grands musiciens du monde et d'offrir ma musique au plus grand nombre», a déjà déclaré Lang Lang. Autant dire que si un jour son ambition impériale se réalise, ça ne sera pas à Laval.