Ça doit être l'hiver qui s'éternise, le manque de lumière, la dépression à l'approche de l'effroi de février, les souverainistes en déroute, les cacquistes en goguette ou peut-être rien de plus qu'un besoin urgent de légèreté. J'essaie d'identifier les facteurs aggravants qui, dimanche soir, m'ont rivée à mon petit écran et poussée à regarder Star Académie du début à la fin.

Je ne sais pas ce qui m'a pris. Ça fait des années, peut-être même des siècles que j'avais renoncé à cette émission qui en est à sa 284e édition, non? Tout au long de la soirée, j'ai quand même tenté de faire amende honorable en syntonisant Tout le monde en parle, histoire de prouver qu'il me restait encore quelques neurones. Mais à chaque fois, le déficit d'énergie et le surplus de morosité bavassière qui se dégageaient du plateau de Guy A., ont eu raison de mes meilleures intentions.

Difficile de résister au gala du dimanche soir de Star Académie: à ses explosions d'énergie juvénile, à son feu roulant de musiques et de chansons, aux méga-moyens de production déployés pour épater la galerie, à l'exubérance contagieuse des académiciens, à la participation des invités qui se prêtent joyeusement au jeu. Comme gros show qui bouge et qui déménage, on ne fait pas mieux. Même qu'on fait de mieux en mieux. Les premiers galas du dimanche soir étaient de pâles copies à côté des feux d'artifice énergisants réglés au quart de tour qu'on nous sert aujourd'hui.

Bref, tout au long de la soirée, je n'ai cessé de m'émerveiller et d'applaudir, et cela malgré ce bandeau trop voyant m'invitant à voter sur Illico, à envoyer des textos sur Vidéotron ou à acheter une compilation chez Archambault, preuves que si Star Académie était un animal, ce serait une vache dont l'empire Quebecor s'emploierait à traire le lait jusqu'à la lie.

N'empêche. J'ai tout aimé de ma soirée, autant le super medley des Trois accords que le duo tout en douceur de Vincent Vallières avec la belle Andréanne, autant la perfo électrisante de Simon que le sauvetage in extremis de Mike, le jeune ex-Réunionais. Une soirée quasi parfaite sauf pour un dernier couac qui a subitement freiné mon enthousiasme. Ce couac, à mes yeux du moins, c'était Jason, le jovialiste du Nouveau-Brunswick avec son chapeau de simili-hipster, sa chanson full matante et sa prestation plus que moyenne. Quand il a été sauvé par un jury à l'air mortifié, j'ai carrément déchanté. Une fois de plus, les limites de la formule me sont apparues dans toute leur splendeur. Une fois de plus, la démagogie comme arme de choix pour faire mousser les cotes d'écoute des régions éloignées a triomphé.

Mais si je n'avais qu'un reproche, un seul, à faire à Star Académie, ce ne serait pas au sujet de son opportunisme régionaliste ni du rêve qu'on y vend comme du savon. Ça serait sur le discours qu'on y tient et dont on abreuve les académiciens: un discours technique, sur la façon de poser sa voix, de placer ses pieds, de bouger comme ci et pas comme ça. Un discours sur comment faire son chemin dans le métier, comment ne pas se décourager ni perdre son estime de soi, comment exploiter son plein potentiel comme s'il s'agissait d'un muscle que deux ou trois exercices suffisent à tonifier. Jamais on n'aborde la question à un million: ce que ça prend pour être un artiste ni même ce qu'être un artiste veut dire. Et si d'aventure le mot artiste réussit à se glisser dans la conversation, c'est au sens de «veudette», de reine du palmarès et de plus gros vendeur de billets ou de disques. Au choix.

Dans les laboratoires du manoir de Star Académie, on ne forme pas tant des artistes que des produits qui avec un peu de chance, gagneront leur vie en alimentant la grosse machine du showbizz. Ça doit être pour ça que ça s'appelle Star Académie et non Artiste Académie. Et que Brigitte Haentjens n'a jamais été invitée à titre de prof pour expliquer ce qu'est un artiste.

Star Académie fête cette année son quinquennat. C'est dire que depuis ses débuts et sans compter les académiciens de cette année, un total de 56 jeunes sont passés par cette soi-disant école. Or sur les 56 diplômés, à peine une demie douzaine ont réussi à s'imposer: à s'imposer sur le marché, s'entend. Et je ne parle pas de ceux qui ont réussi à négocier un rôle dans une comédie musicale. Je parle de têtes d'affiche. Une demi-douzaine, ce n'est pas mal, mais sur le lot, combien sont devenus des artistes? Combien ont le calibre, la créativité et l'originalité d'une Ariane Moffatt, d'un Pierre Lapointe, d'un Yann Perreau, d'une Catherine Major ou même d'une Coeur de Pirate? Un ou deux, et encore.

Mais j'en demande sans doute trop au fournisseur. Star Académie n'est pas une école, ni un incubateur, ni même un laboratoire. C'est un studio de production qui produit du divertissement, point. Quant à ceux qui gèrent ce gros studio de production, ils ont compris depuis longtemps, qu'on peut mêler bien des choses sauf l'art et les affaires.