Avant d'aller plus loin, réglons une chose: je vais bien. Sans blague. Je me porte à merveille et je ne risque pas de faire un arrêt cardiaque ou une crise d'urticaire dans un avenir immédiat. Pourtant, je viens tout juste de terminer la lecture de Charlotte before Christ, un premier roman d'Alexandre Soublière, censé m'infliger à moi et à tous les pathétiques boomers de ma génération un choc post-traumatique aussi puissant qu'un retour d'Afghanistan.

Faut croire que je suis plus résistante que prévu, ce qui ne m'empêche pas d'être un brin perplexe devant cette première oeuvre sur deux jeunes d'aujourd'hui qui ont remplacé le joual de Tremblay par le franglais de... Xavier Dolan?

À la radio l'autre jour, Soublière, 26 ans et toutes ses dents, affirmait que son roman était un méga fuck you, lancé à la société québécoise, née avant lui, je présume. Pour le méga fuck you, je suis assez d'accord. Il y a quelque chose de très provocant dans le personnage de Sasha, un narrateur désabusé de 18 ans qui profère des choses comme: «Je me sens un peu ordinaire dans mes vieux shoes. Faudrait que je fasse un tour au Holt Renfrew avec la Amex de mon père.» Ou encore: «Je pense qu'il y a une seule boutique qui tient YSL à Montréal. C'est pauvre comme ville quand on y pense. Même pas capable d'avoir sa propre boutique YSL... Il y a fuck all ici.»

Charlotte before Christ, si j'ai bien compris, est l'histoire d'une nouvelle génération d'enfants rois qui déserte les repères de l'ancienne, vomit le nationalisme pour mieux embrasser la culture américaine, fait du porno et de l'internet son pain quotidien, tout cela en métissant sa langue d'anglais façon Radio Radio sans avoir la licence acadienne pour le faire. Ce n'est pas entièrement nouveau comme démarche dans la mesure où Lucien Francoeur, Denis Vanier et même Pierre Harel ont pressé la langue québécoise pour en extraire le pur jus de son américanité.

Reste que pour certains prophètes de bonheur et adeptes enthousiastes du jeunisme, Alexandre Soublière n'est rien de moins que le Michel Tremblay de sa génération pour son dynamitage de la langue québécoise.

On verra à l'usure et à l'usage si Soublière a autant de souffle et de talent que Tremblay. En attendant, c'est vrai que son jeu avec la langue, aussi choquant soit-il, est intéressant et porteur de sens. On y devine un relent de malaise de colonisé qui s'est mué en complexe de supériorité. Dans le petit Québec rien que pour nous autres où trop de Pauline Marois ne maîtrisent pas l'anglais, dissoudre la langue du conquérant dans sa langue maternelle comme un morceau de sucre dans le café, c'est s'élever au-dessus de la plèbe, c'est être suprêmement cool et en contrôle de sa propre aliénation.

Je comprends parfaitement ce mécanisme de récupération très prisé par les nouvelles générations, surtout celles qui ont étudié à Brébeuf. Mais ultimement, où ça nous mène? Nowhere, j'en ai bien peur. Chez Tremblay, le joual était avant tout libérateur. Parler joual, c'était s'assumer dans son accent, dans sa culture, dans son environnement, dans tout ce qui nous distinguait de la France. Plus important encore, le joual de Tremblay était un égalisateur social, qui célébrait le coeur et l'authenticité de la classe ouvrière.

Le narrateur de Soublière, lui, n'en a rien à cirer de la classe ouvrière. C'est un gosse de riche, gâté, pourri, égoïste, narcissique, accro aux marques, dopé à la consommation et anesthésié par le confort, comme le sont les personnages de Bret Easton Ellis dont Soublière se réclame. L'ennui, c'est que Soublière n'a pas la distance froide et meurtrière d'Easton Ellis. Il y a du mou et du flou dans sa charge. À la radio, il a expliqué que ses personnages exprimaient la rage d'Occupy Wall Street et du Tea Party, comme s'il n'y avait pas d'océan idéologique entre les deux. Faudrait qu'il se branche.

Pour le reste, Charlotte before Christ s'avère une proposition littéraire intéressante qui pose plusieurs questions, surtout pour la suite. Alexandre Soublière va-t-il continuer à dynamiter sa langue jusqu'à ce que mort linguistique s'ensuive? Si c'est le cas, il ferait bien de rejoindre le Tea Party au plus vite.

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