On leur demande mer et monde. On leur demande tout et son contraire. On exige qu'ils soient irrévérencieux et baveux, mais à la moindre grossièreté ou au premier gros mot, on grimpe dans les rideaux et on leur fait un procès. On veut qu'ils fessent dans le tas, mais avec des gants blancs pour limiter les dégâts et les dommages collatéraux. Qu'ils soient rassembleurs, mais sans ratisser trop large ni se montrer trop pointus. Qu'ils soient décapants et divertissants, mais s'ils misent trop sur le contenant, on leur reproche d'être superficiels, vides, incultes et redondants.

Et s'ils ont trop de contenu, on les trouve lourds, linéaires, plates et déprimants. Le Bye Bye est devenu au fil des ans une mission impossible, l'ultime prétexte au défoulement collectif, source de valorisation douteuse pour ceux qui le dénigrent et aventure périlleuse vouée à l'échec pour ceux qui le créent et le produisent.

Au pire, le Bye Bye déclenche la première tempête de la nouvelle année comme ce fut le cas il y a trois ans. Au mieux, l'émission arrive à une sorte de consensus mou comme l'an passé, consensus dû beaucoup plus au contexte de l'après-catastrophe qu'à la qualité intrinsèque du produit.

J'ignore à quel moment précis de notre courte histoire chialer contre le Bye Bye est devenu un sport national. Je sais que j'ai pratiqué ce sport à l'occasion, y compris cette année à minuit moins cinq, le 31 au soir.

Le contexte y était pour beaucoup. La fête battait son plein, le fun était au rendez-vous, tous les convives étaient de bonne humeur et engagés dans une conversation bien arrosée quand, subitement, quelqu'un a regardé l'heure et constaté que le Bye Bye était entamé depuis un bon quart d'heure. Il y a eu un cri de ralliement auquel la moitié des invités a répondu. Une quinzaine d'entre nous se sont retrouvés presque en pénitence devant le gros oeil morne de la télé avec le sentiment d'avoir été parachutés brutalement dans une autre réalité. Autant dire que pour casser un party, il n'y a rien de mieux qu'un Bye Bye, bon ou mauvais. Le verdict, ce soir-là, ne fut pas des plus positifs.

Le lendemain, par acquit de conscience, j'ai décidé de donner une deuxième chance au Bye Bye. Or, cette fois, dans le silence de mon salon dépeuplé, l'esprit frais et dispos, j'ai eu tout le loisir de mesurer et d'apprécier le travail accompli. Et autant dire que j'ai été ravie. Ravie par à peu près tout: la qualité générale de la production, l'hallucinante maîtrise des effets spéciaux, l'intelligence du propos, l'opulence des mises en scène, l'efficacité des chorégraphies et des parodies musicales, et par le parti pris évident des auteurs pour la satire politique.

Pour une rare fois, les cibles étaient quasiment toutes des hommes ou des femmes politiques, leurs monuments déboulonnés avec fracas et leurs frasques, tournées en dérision avec une belle irrévérence. Je sais que ce parti pris n'a pas fait l'unanimité dans certaines chaumières où, semble-t-il, on en a soupé de la politique.

Pour ma part, je ne reprocherai jamais à une revue de l'année d'être trop politique. D'autant plus que ce n'est pas comme si on avait abusé du genre chez nous. Plutôt le contraire. Alors c'est quoi, au juste, le problème? Quel mal y a-t-il à rire de l'idéologie rétrograde de Stephen Harper, des coups fourrés de Jean Charest, de l'ineptie généralisée de Gérald Tremblay, des guerres intestines du PQ, des ponts qui menacent de s'écrouler, de l'indignation constamment collée au plafond d'Amir Khadir ou de l'opportunisme crasse des poteaux élus sous la bannière NPD?

Une revue de l'année, comme son nom l'indique, revoit les moments marquants de l'actualité et les passe au tordeur. Or, à ce que je sache, les moments marquants de 2011, ceux qui ont fait le plus couler d'encre et soulevé les plus grandes controverses, émanaient du monde politique et du champ des affaires publiques. Qu'il en soit largement question au Bye Bye était parfaitement normal et cela mérite qu'on s'en réjouisse.

Pourtant, depuis deux jours, ce que je lis va dans le sens contraire. Depuis le membre de la ligue du vieux poêle qui ressuscite le fantôme de Gilles Richer en s'ennuyant du bon vieux temps avec Dodo et Denise, quand c'était tellement meilleur même s'il ne s'en souvient plus vraiment, jusqu'au jeune snob en mal de nouvelles internationales qui aurait peut-être ri si on lui avait chatouillé le Printemps arabe en passant par le père moralisateur horrifié par les gros mots qui ont écorché les chastes oreilles de ses enfants - qui doivent pourtant entendre bien pire dans la cour d'école -, les détracteurs abondent.

J'essaie d'imaginer une autre société où le Premier de l'an, toutes les conversations sont monopolisées par une pauvre petite émission de télé qui fait l'objet de plus de railleries que le gouvernement. Je n'en trouve pas. C'est sans doute ce qui fait la beauté de notre société distincte: son charme et son inconséquence.