Pourquoi diable un groupe de quatre gars porte-t-il le nom de Queen? demande innocemment le journaliste. «Because its outrageous!» «Parce que c'est scandaleux», répond le chanteur et compositeur, feu Freddie Mercury, né Farrokh Bulsara à Zanzibar. L'entrevue figure dans le documentaire Queen: Days of Our Lives présenté tout récemment sur ABC et encore disponible sur le web, grâce à la magie de YouTube.

Notez que le scandaleux dans l'affaire visait plus la monarchie britannique que les travestis, qui étaient moins à la mode qu'aujourd'hui.

Personnellement, je n'ai jamais aimé Freddie Mercury. Ses grandes dents de cheval, ses jumpsuits en lycra (le latex existait-il?), sa voix de fausset, sa dégaine de Broadway, ses excès opératiques, sa gestuelle théâtrale, autant d'éléments incriminants qui me tapaient royalement sur les nerfs. Bref, malgré la force de ses tubes rassembleurs et férocement accrocheurs, je ne voulais rien savoir.

Pas étonnant que la frénésie cette semaine entourant le concours lancé par Roger Taylor, le batteur du groupe, pour trouver un nouveau Freddie Mercury et la performance hallucinante du Montréalais Marc Martel ait réveillé mon scepticisme et fait surgir plusieurs questions. Pourquoi tout ce tapage autour d'une bande de dinosaures? Et surtout, qu'est-ce qui pouvait bien pousser Martel, jeune chanteur né à Montréal, membre d'un groupe de rock chrétien à Nashville, à vouloir reprendre le flambeau d'une icône gaie trépassée?

Le documentaire produit par la BBC, qui retrace l'historique du groupe, depuis ses débuts à Londres jusqu'à la toute dernière séance d'enregistrement du chanteur pâle, maigre et mourant, m'a fait redécouvrir Freddie Mercury et comprendre pourquoi, 20 ans après sa mort, son mythe perdure auprès de vieux fans comme d'une nouvelle génération, dont fait d'ailleurs partie la célébrissime Lady Gaga, qui a pris son nom dans la chanson Radio Gaga de Queen.

Qu'on l'aime ou non, il y a une foule d'éléments fascinants chez Mercury et une grande constante: il a passé sa courte vie (il est mort à 45 ans) dans le placard à tout cacher, aussi bien son homosexualité, prétendant d'abord qu'il était bisexuel, son VIH qu'il a nié jusqu'à la dernière heure, que ses origines parsies qu'il a occultées dans un vieux réflexe de colonisé. Pourtant, c'est ce même réflexe qui a poussé le Times d'Asie à inscrire Mercury sur la liste des personnalités indiennes les plus influentes du siècle, notant qu'il avait réussi à faire en musique ce que Salman Rushdie avait fait en littérature: reprendre la forme artistique des colonisateurs et en faire une matière plus riche et séduisante que le modèle original.

Complètement déchaîné sur scène et pourvu d'un charisme dionysien, Mercury n'était pas qu'un performer. Né de parents très conservateurs, instruit dans les bonnes écoles indiennes, diplômé du Ealing Art College de Londres, c'était un compositeur consciencieux, doublé d'un bûcheur qui se consacrait totalement à sa musique, bref un authentique artiste à des années-lumière du cliché de la grande folle noceuse véhiculée plus tard par les médias.

Ce qui ne veut pas dire qu'entre deux tournées, Mercury restait sagement chez lui à boire du thé. Au milieu des années 80, au plus fort du tourbillon du succès, alors que l'équilibre émotif des musiciens de Queen était en péril, le guitariste Brian May a demandé à Mercury s'il faisait preuve d'un minimum de prudence dans les clubs gais. «Absolument pas, lui a répondu sans ambages Mercury. Je fais tout avec n'importe qui.»

Freddie Mercury n'a jamais milité pour les gais ni pour la lutte contre le sida. Il a attendu jusqu'à la veille de sa mort pour avouer qu'il était séropositif, perpétuant le préjugé de la maladie honteuse. Mais peu importe. Il laisse un catalogue de grands classiques rock dont la pérennité est incontestable et le souvenir d'un artiste incandescent qui, pendant 20 ans, ne fut pas seulement un pilier de Queen, mais le roi.

Quant à notre ami Marc Martel, Freddie a peut-être fait de lui l'heureux gagnant d'un concours d'imitation vocale, mais cela ne veut rien dire s'il ne prouve pas qu'il est aussi un prétendant au trône.