Pendant tout le feuilleton judiciaire portant sur ce que la Société Radio-Canada peut garder confidentiel et ce qu'elle doit accepter de divulguer au grand jour, l'image d'un muffin n'a cessé de me hanter. Cette semaine encore, quand la Cour d'appel fédérale a tranché en faveur de la Commissaire à l'information du Canada, lui donnant le pouvoir de consulter les documents de la SRC qui en principe ne sont pas assujettis à la Loi sur l'accès à l'information, le muffin est apparu dans mon esprit comme une icône intempestive.

Notez qu'il s'agit d'un muffin ordinaire dont je ne peux même pas dire s'il est aux pommes ou aux canneberges. Tout ce que je sais dudit muffin, c'est qu'il a été acheté par Sylvain Lafrance, l'ex-vice-président à la programmation française et qu'il a coûté aux contribuables canadiens la somme de 1,65$.

Pourquoi est-ce que ce muffin me hante et qu'a-t-il à voir avec la Loi sur l'accès à l'information? Disons qu'à mes yeux, ce muffin est le symbole d'une certaine dérive de la notion du droit du public à l'information. Ou mieux encore: ce muffin est la goutte qui fait déborder le vase de l'absurdité.

J'ai pris connaissance de son existence l'an passé dans un article de Canoe qui commençait ainsi: «Ce sont les contribuables qui paient la note pour les bouteilles de vin prises durant les repas d'affaires qui s'étirent et pour les voyages à Paris en classe affaires d'un dirigeant de haut niveau à Radio-Canada/CBC.» L'article se poursuivait avec la liste exhaustive des dépenses du vice-président, où figurait le muffin à 1,65$.

Durant tout l'article, le ton était le même: un ton démago, de morale à la petite semaine, s'indignant du fait qu'un haut dirigeant d'une grande télé publique ne tienne pas ses repas d'affaires chez McDo et ne voyage pas dans la soute à bagages des avions. Le message entre les lignes était clair: pendant que les pauvres cochons payeurs de taxes mangent des sandwiches pas de croûtes sur le coin de la table, les grosses légumes de Radio-Canada boivent du vin dans les restaurants, s'envoient en l'air en première classe et mangent des muffins le matin. Scandale!

Je vous concède que ce muffin n'a rien à voir avec le jugement rendu par la cour fédérale cette semaine. Les dépenses des hauts dirigeants de la SRC/CBC sont en effet accessibles à tous sur le site de la SRC où apparaît toujours le détail du muffin à 1,65$. Mais ceux qui ont à l'oeil la télé publique en veulent plus. Ils veulent savoir combien gagnent Liza Frulla, Marie Grégoire et Jean-Pierre Charbonneau pour leur participation au Club des Ex. Combien a coûté le concours pour trouver un nouveau thème musical pour Hockey Night in Canada. Combien la SRC/CBC a misé pour obtenir les droits de diffusion des Jeux olympiques qu'elle n'a finalement pas obtenus. En tout, 16 demandes d'accès, refusées par la SRC/CBC, faisaient l'objet du litige. Certaines demandes étaient légitimes. Savoir combien de millions la télé publique était prête à flamber pour les Jeux olympiques est d'intérêt public. Connaître la somme sans doute très substantielle dépensée par la SRC en publicité dans toute la région montréalaise l'est aussi. La télé publique n'est pas au-dessus des lois. Elle doit rendre des comptes aux citoyens qui en font la demande. L'ennui, c'est que ces citoyens épris de transparence sont la plupart du temps des concurrents commerciaux ou des ennemis politiques.

Or, avec le jugement de la cour fédérale qui vient en partie de donner gain de cause à ces «citoyens», la chasse est ouverte. Radio-Canada risque bientôt de devoir divulguer tout ce qu'elle aimerait garder pour elle, y compris le nombre de muffins qu'elle consomme chaque année.