Comme en écho aux manifestants qui occupent Wall Street, une bande de joyeux druides québécois ont pris d'assaut la Cinquième salle de la Place des Arts cette semaine. Dédié à Stephen Harper et à Jean Charest, et arborant au centre de la scène une touchante photo de la reine, leur spectacle plaide pour sensiblement la même chose que les indignés de Wall Street: une réforme radicale de nos sociétés capitalistes, consommatrices, corrompues et polluantes, qui tournent à vide, sapent notre humanité et nous tuent à petit feu.

Mais contrairement aux indignés de Wall Street qui n'ont pas de leader, ceux du spectacle Tout ça m'assassine sont menés tambour battant par le metteur en scène et militant anti-gaz de schiste Dominic Champagne.

Autant le dire tout de suite: Tout ça m'assassine divise déjà la poignée de gens qui l'ont vu, ce qui est un bon signe ou du moins la preuve de la richesse de ce spectacle engagé et composé de trois courtes pièces de Patrice Desbiens, Pierre Lefebvre et Champagne, cette dernière mettant en scène deux bozos qui s'en vont à pied aux funérailles de René Lévesque.

Évidemment, monter un spectacle engagé à une époque qui carbure au désengagement est périlleux. Il y en aura toujours pour crier au réchauffé, au remâché, au déjà vu, à la nostalgie trempée dans la babiche et le sirop d'érable. C'est d'ailleurs précisément cela et le cours d'Histoire québécoise 101 que déplorent les détracteurs du spectacle.

Les autres, dont je fais joyeusement partie, trouvent au contraire que le rappel historique et la remise en contexte politique du texte de Champagne sont nécessaires, salutaires et qu'ils nous illuminent. Quant au duo antinomique à mi-chemin entre Don Quichotte, Sancho Panza et Laurel et Hardy que forment Antoine Bertrand et Mario St-Amand, il est extraordinairement évocateur en cela qu'il saisit avec justesse les deux courants contraires et quasi contradictoires qui traversent la société québécoise. D'un côté, la combativité débordante d'espoir, d'euphorie et d'illusions pour la survie identitaire et le pays à faire. De l'autre, le défaitisme, le ressentiment, l'amertume et la désillusion face au pays qui ne se fait jamais. Deux courants aussi soudés qu'inséparables, chacun tentant d'abattre l'autre, mais chacun, aussi, prenant le relais quand l'autre tombe.

Comme il l'explique lui-même dans le programme, Dominic Champagne voulait écrire «une marche funèbre sur la tragique dépossession de nos rêves communs». En cours d'écriture, il a été happé par les gazières qui ont débarqué dans son arrière-pays. L'écriture a pris le bord pendant que le militant montait au front. «J'y ai rencontré l'arrogance des puissants, la résignation de mon peuple et beaucoup d'ignorance. Tout ça m'assassine», écrit-il.

Mais Champagne n'a pas été assassiné au point de baisser les bras ni d'accrocher son clavier d'ordinateur. Tout le contraire. Avec la ferveur d'un Quichotte, il s'est lancé dans la création d'un ovni pour l'époque et d'une denrée tristement rare dans nos froides contrées: une pièce politique.

Cette pièce est peut-être trop primaire ou trop prêchi-prêcha ou trop nostalgico-nationaleuse au goût des uns, mais elle a le mérite de s'assumer et de tenter de faire le point sur ce que le Québec était et sur ce qu'il est devenu en 2011: une société coincée entre le passé mort qui ne veut pas mourir et l'avenir naissant qui ne veut pas naître comme le dit si bien le personnage d'Antoine Bertrand.

Je ne suis pas sans savoir que ce que Champagne dit de notre cul-de-sac politique ou ce que Pierre Lefebvre dit de notre asservissement au modèle capitaliste dans le texte Confessions d'un cassé sont des propos que nous avons entendus mille fois, aux nouvelles et dans les émissions d'affaires publiques. Mais l'intérêt, c'est de les entendre au théâtre, dans cet espace privilégié et clos où l'on peut descendre au fond de soi et réfléchir dans le noir. Tout cela avant de descendre dans la rue avec tous les indignés de la terre et de s'y remettre. Pas comme avant. Comme maintenant.