Le Théâtre sans fil, un théâtre de marionnettes géantes qui a fêté cette année ses 40 ans d'existence, de créations et de tournées internationales, n'ouvrira pas ses portes aujourd'hui pour les Journées de la culture.

Ses portes, vous les connaissez peut-être. Ce sont celles de la caserne Létourneux, un bâtiment phare du patrimoine montréalais, construit au coeur de Hochelaga-Maisonneuve en 1914 par Marius Dufresne, un émule de Frank Lloyd Wright.

Le bâtiment a été abandonné par la Ville pendant des décennies, puis, à l'initiative du Théâtre sans fil, restauré à grands frais en 2003 avec l'argent (4,2 millions) de Québec et de Montréal. Or, ce joyau de l'architecture, siège du marionnettiste et lieu de convergence de nombreuses compagnies artistiques, est à vendre. Le Théâtre sans fil n'a pas eu le choix. Plombée par le Conseil des arts et des lettres du Québec qui a décidé de lui couper les vivres en août dernier, la compagnie n'avait d'autre solution que de vendre sa maison, pour éponger son déficit et entamer la création d'un nouveau spectacle dédié à Amos Daragon.

Vendre cette caserne payée par le public est immoral, écrit un blogueur anonyme sur le site du Devoir. Je suis entièrement d'accord avec lui, à la nuance que la plus grande immoralité dans cette affaire, c'est la décision du Conseil des arts et des lettres. D'abord, sa décision de supprimer la subvention de 140 000$ qui permettait au TSF de fonctionner cette année. Mais surtout, sa décision arbitraire et irresponsable de cesser de croire dans le potentiel d'une compagnie qui, depuis 1971, a été une pionnière dans son domaine et une formidable ambassadrice de la créativité québécoise.

Porté aux nues hier, le Théâtre sans fil ne vaut subitement plus rien aux yeux des fonctionnaires du CALQ et de leurs jurys de pairs. Pourtant, c'est toujours la même compagnie. Avec ses marionnettes géantes échappées de contes fantastiques, le Théâtre sans fil, c'est un peu comme le Cirque du Soleil du monde des marionnettistes. La compagnie a fait le tour du monde, de Caracas à Cannes en passant par Tokyo et Washington, avec une vingtaine de spectacles dont Le Hobbit et Le seigneur des anneaux joués 1300 fois devant des milliers de spectateurs. Pas plus tard qu'en 2009, la compagnie était invitée par le ministère des Affaires culturelles et la ministre St-Pierre à présenter avec l'OSM le spectacle d'ouverture au Festival des arts Cervantino au Mexique, puis à faire l'ouverture du prestigieux festival de la marionnette de Tolosa en Espagne.

Selon le porte-parole du CALQ, le Théâtre sans fil aurait été averti à plusieurs reprises depuis trois ans que ses dossiers ne satisfaisaient plus les critères financiers, administratifs et artistiques exigés par le Conseil. Mais qu'est-ce que cela veut dire au juste? Le porte-parole a été incapable de me l'expliquer. André Viens, le fondateur et directeur artistique du Théâtre sans fil, affirme pour sa part avoir fait ses devoirs en déposant un projet de restructuration et de refinancement pour la compagnie. En vain. Le CALQ n'a rien voulu entendre, comme si la survie d'une institution culturelle arrivée à maturité était le cadet de ses soucis.

Dans le milieu, certains chuchotent que le Théâtre sans fil est mal administré. D'autres lui reprochent de ne pas avoir su se renouveler et surtout de ne pas avoir produit de nouvelle création depuis trop longtemps. Sur ce point, c'est vrai: leur dernière création, Le royaume des devins, remonte à 2006. Et alors? Même si cette critique et les autres sont fondées, ce n'est pas une raison pour laisser tomber une compagnie qui a mis 40 ans à construire quelque chose d'unique au monde et dont la pérennité devrait être une priorité. Mais au CALQ, la pérennité semble avoir moins de poids que la nouveauté ou le dernier succès virtuel ou technologique de l'heure. Les fonctionnaires du CALQ ont beau ne plus vivre à l'époque féodale, la culture pour eux est un fief et les artistes, des vassaux dont ils disposent à leur gré. Dans le fond, ce sont eux les vrais marionnettistes de l'histoire.