Si Karine Vanasse ne tenait pas un premier rôle dans Pan Am, je ne sais pas si j'aurais pris autant de plaisir à regarder cette nouvelle série qui a décollé sur ABC dimanche soir. Je me connais: n'eût été de Karine et de la fierté toute québécoise que je ressens à la voir évoluer avec autant de charme et d'élégance dans une série américaine, j'aurais sans doute été plus critique.

J'aurais trouvé que cette série imaginée par l'auteur de ER et offerte par le réseau qui a enfanté Desperate Housewives et Grey's Anatomy a décollé plutôt lentement et que la nostalgie, qui s'en dégage par grandes bouffées, est un brin trop sucrée, merci. Et comme plusieurs critiques américains, je n'aurais pas pu m'empêcher de faire des comparaisons avec Mad Men, la série culte de AMC dont Pan Am est une sorte de produit dérivé.

Or, tout ce qui a fait le succès de Mad Men, l'ironie, la désillusion des personnages en attente d'une catastrophe imminente et une distance critique devant les excès et les écueils des années 60, tous ces ingrédients explosifs semblent totalement absents de Pan Am, du moins pour l'instant. Sauf que... comparer Mad Men et Pan Am, c'est faire fausse route.

Pan Am n'est pas produite ni diffusée par une chaîne audacieuse, pointue et confidentielle comme AMC. Elle est diffusée sur ABC, un des trois grands réseaux généralistes américains, là où les vraies guerres se jouent. Or dimanche soir, Pan Am est arrivée deuxième après le football, avec 10,9 millions de téléspectateurs. C'est un excellent début qui n'a rien à voir avec le succès confidentiel de Mad Men, dont la cote d'écoute dépassait rarement les deux millions.

Évidemment, pour toucher un auditoire aussi vaste, il faut avoir un parti pris pas trop compromettant. Celui de Pan Am est parfait pour les temps turbulents que nous traversons. C'est le parti pris de l'optimisme, quand la prospérité économique promettait le bonheur pour tous et l'émancipation pour les jeunes femmes fraîchement émoulues des universités, quand les avions étaient des salons VIP plutôt que des boîtes de sardines et que voyager sur leurs ailes était une aventure luxueuse et agréable pas encore contaminée par la peur des crash, la menace du terrorisme ou le chaos de la déréglementation.

Dès les premières images montrant un rutilant aéroport (entièrement reproduit de manière numérique), Pan Am nous fait plonger avec nostalgie dans un monde étincelant de propreté, de symétrie et de beauté. Ses quatre hôtesses de l'air, dont la pimpante Colette Valois incarnée par Karine Vanasse, ne sont pas des cruches. Que non.

Exception faite de la dernière recrue (une mariée défroquée), ce sont de jeunes femmes éduquées, qui savent faire la différence entre Marx et Hegel et qui parlent un minimum de trois langues. Ce que nous apprendrons bientôt, c'est que ces jeunes femmes, qui ont rejoint les rangs d'une compagnie aérienne sophistiquée et internationale, attirées par l'ivresse du voyage et de l'aventure, devront en payer le prix. Elles n'auront pas le droit de prendre un kilo, de se marier et encore moins d'avoir des enfants. Mieux encore: elles devront obligatoirement prendre leur retraite à 32 ans.

En attendant, la série se balade un peu confusément entre deux genres. D'un côté, il y a les intrigues amoureuses à la petite semaine et de l'autre, un suspense politico-policier sur fond de Guerre froide impliquant une hôtesse de l'air recrutée comme agent double par la CIA. Les semaines qui viennent nous diront si les auteurs réussiront à trouver un équilibre narratif entre ces deux axes, ce qui n'est pas encore acquis.

Pour ce qui est de Karine Vanasse, j'avais peur qu'elle ait un rôle moins important que les autres à cause de sa francophonie et qu'on la perde dans la mêlée. Il n'en est rien. Non seulement son personnage de Française charmante, pimpante et sexy occupe-t-il une place de choix dès le premier épisode, mais une rencontre malheureuse avec l'épouse revêche de son amant lui a permis d'explorer un registre plus dramatique et de nous ouvrir une fenêtre sur sa vie intime.

Je sais déjà que son sourire radieux cache une blessure qui s'ouvrira à Berlin pendant le fameux discours berlinois de John F. Kennedy. Pour le reste, j'attends que Pan Am décolle sérieusement et atteigne sa vraie vitesse de croisière avec, espérons-le, un carburant fait d'à-propos et de pertinence, plutôt que de nostalgie.