Au petit écran, le jeune comédien Robert Naylor, 15 ans et toutes ses dents, fixe la caméra. Lorsqu'il prend la parole, il annonce: «J'ai 75 ans» avant d'ajouter: «Je suis ce qui va arriver». Le message dure 10 secondes et même si 10 secondes, c'est peu de choses dans une vie, ces 10 secondes-là réussissent l'exploit olympique de nous envoyer trois messages contradictoires en un temps record.

Si comme moi, vous êtes un abonné de la télé de Radio-Canada, vous avez probablement vu ce message un million de fois, de même que les autres de la série mettant en vedette Janine Sutto, Janette Bertrand, Kim Thuy, Dany Laferrière, Marianne Saint-Gelais et compagnie, tous très fiers d'avoir 75 ans. J'ignore pour vous, mais pour ma part, j'ai dû me farcir ces messages produits par le service de la publicité de Radio-Canada une bonne quinzaine de fois avant de comprendre de quoi il s'agissait. Et encore!

En effet, quelle conclusion logique y a-t-il à tirer d'un ado qui affirme avoir 75 ans? Je n'en vois que deux. Ou bien l'ado est un mythomane ou bien c'est un fieffé menteur qui se fout de notre gueule. En passant, la même conclusion s'applique, mais à l'envers, pour Janette et Janine dont tout le monde sait que ces bonnes et talentueuses dames n'ont plus 75 ans depuis belle lurette!

Et même lorsqu'on finit par saisir l'humour et par comprendre que Robert, Janine et Janette sont une métaphore pour quelque chose, on ne sait toujours pas quoi. De quoi parle-t-on au juste? De la radio de Radio-Canada. De la télé? De sa tour? De sa cafétéria?

Je suis peut-être plus bouchée qu'une autre, mais ce n'est qu'après avoir parlé à la chef de la publicité de la SRC que j'ai fini par saisir l'identité de l'objet dont on célébrait les 75 ans. Pour ceux qui seraient aussi bouchés que moi et qui ne l'auraient toujours pas compris, on célèbre une date: la date de la fondation de la SRC.

Le 2 novembre 1936, à la suite de l'adoption d'une nouvelle loi sur la radiodiffusion, la Commission canadienne de la radio a été remplacée par la Société CBC-Radio-Canada. C'est cette date, et cette date seulement, qu'on célèbre. Pas la diffusion de la première émission de radio qui viendra l'année suivante, le 11 décembre 1937, ni même celle de la première émission de télévision qui sera diffusée des années-lumière plus tard, le 6 septembre 1952. Non, on célèbre quelque chose qui vient d'être fondé, mais qui n'existe pas encore, un genre d'abstraction quoi, ou de projet de société. Levez la main ceux qui ont compris.

À mon avis, ceux qui ont tout pigé dès le départ sont une minorité, minuscule et crépusculaire. Je suis convaincue que la vaste majorité des téléspectateurs croient toujours que cette campagne de pub vise les 75 ans de la télévision (qui n'en a que 59). En même temps, ils sont un peu confondus par le fait que les têtes d'affiches de la campagne n'ont rien à voir avec les têtes d'affiche habituelles de la SRC. Robert Naylor n'a joué qu'une seule fois dans une série radio-canadienne. Il tenait un petit rôle de quelques minutes dans 19-2. Chloé Sainte-Marie n'a jamais animé les Squelettes dans le placard ni aucun autre quiz ou émission régulière. Les seules exceptions parmi le florilège de visages parachutés dans cet anniversaire sont Janine et Janette, d'authentiques piliers du passé de la SRC.

L'effet était voulu. Comme me l'a expliqué la chef de la publicité, l'idée, c'était de faire appel à des personnalités connues et aimées, qui font partie de la vie des gens comme Radio-Canada fait partie de la vie des gens. Ouais, bon...

En fin de compte, cette campagne de pub inutilement compliquée et confuse est assez représentative. Pas de la SRC, mais d'une certaine tendance publicitaire bien implantée chez nous. Au lieu de chercher à communiquer au public un message clair et précis, on le confond, on le déjoue, on le détourne et on s'étonne qu'il ne comprenne rien quand, bien franchement, il n'y a rien à comprendre.