Vladimir Belova a 15 ans. Il est né en 1996, à Montréal, de parents russes, artistes de cirque, qui ont quitté leur pays à la chute du communisme. Vladimir n'est pas très grand ni très bavard. Comme la plupart des gamins de son âge, il passe beaucoup de temps enfermé dans sa bulle devant son ordinateur à chatter, à regarder des films ou à écouter du Michael Jackson. Pourtant, quand on lui demande ce qu'il veut, ce qu'il attend, ce qu'il cherche, il n'hésite pas à répondre, avec un fond de tristesse dans les yeux: je cherche un sens à ma vie.

Cette phrase toute simple, et pourtant lourde de sens, a en quelque sorte sauvé Vladimir. Il l'a glissée dans une lettre de deux pages, écrite sans faute d'orthographe ni de français, à l'intention de Wajdi Mouawad. Vladimir ne savait pas exactement qui était Wajdi et n'avait jamais vu ses pièces. Mais il avait eu vent que l'homme de théâtre, en partenariat avec le TNM, cherchait 10 jeunes Montréalais de 15 ans pour participer au projet Avoir 20 ans en 2015. Le projet impliquait un engagement ferme de cinq ans de la part des jeunes. En échange de cet engagement, il y aurait des voyages (en Grèce, à Lyon, à Auschwitz et dans un pays arabe), des découvertes, des discussions autour du théâtre de Sophocle et des rencontres avec 40 autres jeunes de 15 ans, habitant les villes de Mons, Namur, Nantes et l'île de La Réunion.

Vladimir a tout de suite eu envie de s'inscrire, même s'il était convaincu qu'il n'aurait aucune chance. «Je me suis dit que ça ne coûtait rien d'essayer et j'ai décidé d'écrire cette lettre», me raconte-t-il de sa voix un peu lasse d'enfant poqué par la vie.

Dans cette lettre, Vladimir racontait ses problèmes scolaires et familiaux, mais surtout son amour des arts, dont il est désormais privé après avoir été suspendu puis renvoyé de son école et placé dans un pensionnat à Rigaud. Puis, au détour d'un paragraphe, cette phrase toute simple et poignante: je cherche un sens à ma vie et je crois que votre projet pourrait m'aider à le trouver.

Le 5 mai dernier, Vladimir, qui est un bollé en français et en mathématiques, a appris qu'il faisait partie des 20 finalistes choisis parmi une centaine de candidats. Il a pris rendez-vous avec le TNM pour une entrevue. Peu de temps après, on lui annonçait que sa quête de sens avait été entendue.

Ce projet inspirant, qui est la parfaite antithèse des téléréalités débiles que l'on offre aux jeunes d'aujourd'hui, aurait dû faire la une des journaux. Manque de chance, il a été lancé le jour où l'affaire Cantat a éclaté. Le bruit et la fureur autour du chanteur maudit ont eu raison des rêves et des espoirs de 10 jeunes dont la vie va bientôt être transformée à jamais.

J'ai rencontré Vladimir il y a quelques jours chez son tuteur pour voir ce qu'il attendait de cette expérience. Il m'a répondu qu'il espérait que l'aventure l'aide à se cultiver, à rencontrer des gens d'univers différents, à voir le monde et surtout à changer la vision qu'il en a. À la question: «C'est quoi ta vision du monde», la réponse est tombée, sans appel: «Le monde est dur et sans pitié.»

Je ne connais pas les neuf autres jeunes Montréalais qui seront du voyage. De ce que j'en ai compris, ces sont des filles et des garçons d'horizons différents. Certains sont des Québécois de souche, d'autres, des enfants de l'immigration. J'ignore si Vladimir est représentatif du groupe. En revanche, je sais que, si notre société pouvait offrir à des gamins brillants mais un brin paumés comme Vlamidir des projets aussi inspirants et stimulants que celui-ci, on réduirait de beaucoup la délinquance, le suicide et le décrochage chez les jeunes.

Comment faire rêver ces jeunes citoyens pour qu'ils puissent mesurer l'immensité du monde et ouvrir le champ des possibles, écrit Wajdi Mouawad dans le préambule du projet. Comment? En les invitant à un beau et long voyage dont ils reviendront à coup sûr transformés. Le premier départ a lieu le 8 juillet prochain. En quittant Vladimir, je lui ai donné rendez-vous en 2015. Quelque chose me dit que c'est un autre Vladimir que je vais retrouver.