À 16h pile, heure de Chicago, avec comme seuls accessoires un fauteuil, une table basse et des mouchoirs annonciateurs de larmes, Oprah, reine de la télé américaine, a entrepris son long adieu, ou ce qu'elle a qualifié d'ultime classe dans l'école de la vie qu'elle dirige depuis 25 ans.

Pas d'invités ou de vedettes sur scène avec elle. Pas d'entrevues, pas de numéro de chanteur populaire, sauf cette chanson composée expressément par Paul Simon pour elle, et diffusée à chaque pause.

Pas de surprises non plus, ni de cadeaux en forme de poêles à frire, de livres, de CD, de magnétoscopes ou d'autos. Qu'un long discours-fleuve sur l'estime de soi et sur la responsabilité que chaque être humain doit avoir face à sa propre vie, le tout prononcé par une Oprah seule et souveraine dans sa robe rose saumon.

L'émission numéro 4561, vendue aux annonceurs comme un Super Bowl au féminin, se voulait une lettre d'amour de la part de la plus célèbre animatrice à son vaste et immense public. Mais en réalité, par la forme statique et le ton solennel, l'adieu d'Oprah ressemblait davantage à l'émission d'un télé-évangéliste du dimanche matin. Beaucoup de prêchi-prêcha, de leçons de morale, de voeux pieux et d'exhortations à vivre une vie meilleure en étant un meilleur être humain, tout cela à la grâce de Dieu, quel que soit votre dieu.

Et puis à mi-chemin de son discours, cette terrible confession d'Oprah à son public: vous et cette émission avez été le plus grand amour de ma vie. Heureusement que Marc Labrèche n'est plus en ondes, sinon la satire qu'il aurait pu faire de cette absurde confession aurait été dévastatrice.

Je ne doute pas un seul instant de la sincérité d'Oprah au sujet du plus grand amour de sa vie, mais je m'interroge toutefois sur le muscle qui lui tient lieu de coeur. Comment une femme aussi intelligente, lucide et expérimentée qu'Oprah a-t-elle pu succomber à ce piège narcissique et ne pas comprendre qu'à la fin de la journée, une émission de télé n'est rien de plus... qu'une émission de télé?

Oui, bien sûr, l'émission d'Oprah, avec sa culture de la confession, sa rédemption par la parole, son ouverture à la littérature, son engagement politique et sa manie d'aborder franchement des sujets tabous, a révolutionné le genre et participé à l'évolution des mentalités, encore que cette émission, à ce que je sache, n'ait pas réglé la faim dans le monde ni mis fin à la pauvreté ou à la discrimination des Noirs américains.

Et oui, sans cette émission de télé, la petite fille pauvre et mal aimée du Mississippi, qui a connu tous les écueils de la misère morale et sexuelle, aurait pu finir comme femme de ménage au Sofitel au lieu de devenir la battante la plus riche et la plus puissante de la télévision américaine.

Reste que cette miraculée du destin, qui se targue d'avoir aidé des milliers de gens à trouver leur lumière intérieure, aurait été mieux avisée de faire sa déclaration d'amour à Stedman Graham, le pauvre bougre qui partage sa vie depuis près de 25 ans. Qu'à cela tienne, à la toute fin, après l'adieu qualifié de simple au revoir, quand Oprah a quitté le plateau et remonté les allées bordées de ses admirateurs, elle a longuement embrassé son homme, signe que l'amour dans sa vie n'est pas que virtuel.

La caméra l'a alors suivie dans les coulisses, le long des couloirs où une équipe aussi imposante qu'une armée lui a fait une touchante haie d'honneur. C'était sans doute le moment le plus émouvant, le vrai, le moins «scripté» de toute l'heure. Personnellement, j'aurais aimé que l'image fige sur cette équipe qui a dû suer sang et larmes pour aider Oprah à réaliser ses rêves. Mais la caméra a continué son chemin, nous laissant avec l'image d'une femme qui, à la fin de cette journée historique, est allée chercher un ultime réconfort auprès de nul autre que son chien.

Peut-être est-ce le signe que Oprah devrait oublier la télé pour un temps, revenir sur terre et recommencer enfin à vivre.