On commence par croire au coup monté ou à la blague. L'histoire est tellement énorme et son timing si parfait qu'il ne peut qu'être suspect. On se dit que ça n'a aucun sens. Que c'est impossible que Dominique Strauss-Kahn, le patron du Fonds monétaire international, candidat vedette pressenti du Parti socialiste français et peut-être futur président de la République française, c'est impossible que ce monsieur-là ait fait une telle connerie. Impossible qu'il ait agressé sexuellement cette jeune femme de chambre de l'hôtel Sofitel de Manhattan. Voyons donc! Il y a à peine trois semaines, aux journalistes de Libération qu'il rencontrait dans un resto à Paris, DSK avait même confié que sa plus grande crainte était que ses adversaires tentent de salir sa réputation et paient un million d'euros à une femme pour qu'elle l'accuse faussement de l'avoir violée dans un parking. D'un parking à Paris à une chambre d'hôtel à New York, il n'y a qu'un océan qui semble bel et bien avoir été franchi.

Difficile d'imaginer qu'un type qui craint un tel complot de la part de ses adversaires politiques les devance et réalise le complot lui-même en toute insouciance. Difficile enfin d'imaginer que ce type est marié depuis 20 ans à une femme belle, riche et intelligente, qui le défend bec et ongles depuis toujours. J'ai nommé Anne Sinclair, sublime brune aux yeux clairs, ex-présentatrice vedette de la télé française et riche héritière de Paul Rosenberg, un des plus grands marchands d'art du XXe siècle. Pour DSK, Anne Sinclair a abandonné une carrière couronnée de succès à la télé française qui avait connu un sommet avec l'émission 7 sur 7. Pour DSK, elle a quitté son superbe appartement de la Place des Vosges et Paris, la ville qu'elle aime le plus au monde, pour le suivre à Washington où, pour passer le temps, elle tient un blogue coiffé du titre «Deux ou trois choses vues d'Amérique». Dans ce blogue, Anne Sinclair nous entretient régulièrement de la vie politique américaine. Elle a toutefois fait une exception en octobre 2008 pour parler de sa vie privée et tirer un trait définitif sur la liaison que DSK avait eue avec Piroska Nagy, une économiste hongroise et une ses subordonnées au FMI. Sous la rubrique «Deux ou trois choses à vous dire», Anne Sinclair avait écrit: «Cette aventure d'un soir est désormais derrière nous. Nous nous aimons comme au premier jour.»

Je ne sais pas si Anne Sinclair aime encore DSK comme au premier jour. Chose certaine, elle n'a rien écrit sur son blogue depuis que ce dernier a été arrêté, menotté et foutu en prison. Dans la journée de dimanche, elle a bien envoyé à l'AFP un communiqué où elle déclarait: «Je ne crois pas une seule seconde aux accusations portées contre mon mari. Je ne doute pas que son innocence soit rétablie.» Depuis qu'il a été placé en détention provisoire, plus rien. Pas un mot. Pas une ligne. Silence radio.

On commence par croire à un coup monté ou à une blague et puis subitement, le poids de la réalité finit par s'installer, aidé en cela par le poids des nouvelles (vieilles) accusations comme celles portées par l'écrivaine et journaliste Tristane Banon. DSK aurait entraîné cette pétillante blonde, aujourd'hui âgée de 31 ans, dans un appartement et tenté de l'agresser sexuellement alors qu'elle venait l'interviewer, il y a quelques années. En février 2007, sur le plateau de l'émission 93, Faubourg Saint-Honoré, la journaliste a tout raconté aux invités de Thierry Ardisson. On peut encore voir sur le web la vidéo où, souriante et blagueuse, la journaliste décrit «le chimpanzé en rut» avec qui elle s'est battue et débattue dans un appartement chic et vide où il lui avait donné rendez-vous. Les téléspectateurs n'entendent pas le nom de DSK, bipé pour les circonstances, mais tous les invités autour de la table, oui. Et quand Ardisson lance que le chimpanzé en question est obsédé par les gonzesses, qu'il a un énorme problème avec ça, tous les invités opinent du bonnet. Pas un seul pour protester ni défendre l'honneur de DSK. À l'évidence, tout le monde sait que Tristane n'invente rien. Anne Sinclair le savait-elle aussi? Je veux dire à ce point-là? Ou avait-elle fini par fermer les yeux sur les frasques de son coureur de jupons de mari et par invoquer un complot de la droite comme Hillary Clinton l'a fait pour Bill?

On commence par croire à un coup monté et puis on se souvient de Monica Lewinsky, de Roman Polanski et de ce soir du printemps 1998 où une jeune croupière de 19 ans a été agressée sexuellement au Manoir Rouville de Saint-Hilaire par un producteur riche, influent, à qui tout réussissait. Si l'histoire n'avait pas la fâcheuse manie de se répéter, on pourrait croire à l'innocence de DSK et à la théorie du complot que ses amis et proches mettent de l'avant. Mais dans ce genre d'affaire mettant en scène un homme riche et tout-puissant, la vie nous a enseigné que les complots sont rares. Et que l'amour inconditionnel d'une femme, même d'une battante comme Anne Sinclair, finit toujours malheureusement par se heurter contre le mur froid des faits.