À la télé, les premiers résultats électoraux défilaient avec la dureté froide et furieuse d'une averse soudaine qui vous trempe jusqu'aux os.

Cela faisait plus de deux heures que le sablier électronique de Radio-Canada nous annonçait que les résultats s'en venaient. Et là, subitement, devant leur déferlante, j'ai perdu pied. Une heure plus tard, je n'avais pas seulement perdu pied, j'avais perdu tout mon intérêt. Pas pour le bouleversement politique ni le revirement historique qui était en train de se jouer sous mes yeux. Pas non plus pour les hommes et les femmes qui s'étaient lancés dans la cruelle et imprévisible aventure politique et dont le sort n'en finissait plus de basculer à mesure que le scrutin était dépouillé.

Une perte d'intérêt pour le gazouillis, le blabla et la cacophonie qui dominent les soirées électorales. À la longue, trop de résultats garrochés trop vite, trop de graphiques, de statistiques, de commentateurs énervés qui se coupent la parole, d'animateurs dépassés qui ne savent plus où donner de la tête ni où trouver Joliette, trop de résultats déprimants qui vous signalent que vous avez définitivement perdu vos élections, tout cela finit par tomber sur le coeur et par donner envie de fuir. Mais où? Dans l'alcool? Dans la conversation à bâtons rompus avec ses amis? Dans le ménage et la vaisselle? J'avais épuisé ces trois options quand, par pur désoeuvrement, j'ai décidé d'aller faire un tour du côté des médias sociaux et de voir ce qui se disait sur la planète Twitter, plus précisément sous la clé #fed2011. Je n'ai pas écrit un traître mot de la soirée. Je n'ai fait que lire mes contemporains et fuir avec eux... en dièse. Au départ, ce n'était pas jojo. Il n'y en avait que pour les talons hauts d'Emmanuelle Latraverse, le toupet de Liza Frulla et la ressemblance entre Tasha Kheiriddin et Mitsou Gélinas. Mais très vite, le propos s'est diversifié, et surtout, un humour résolument politique s'est mis de la partie. Et subitement, cette soirée d'une lourdeur de brique s'est illuminée grâce à l'humour, à l'ironie et à la joyeuse légèreté d'une communauté invisible dont je me sentais étrangement plus proche que des commentateurs à la télé. J'ai noté la même réaction chez les amis réunis chez nous et qui croulaient de rire chaque fois que je leur faisais la lecture d'une perle, genre: Les gens qui s'attendent à aller prendre une bière avec Jack Layton vont rester sur leur soif. Ou: Beaucoup de deuils ce soir. Les recherchistes de Josélito Michaud devraient se mettre sur le téléphone. Ou bien: Sortez vos pics, vos fourches et vos fusils, la chasse est ouverte. Ou: Le Bloc, ce n'est plus un bloc. C'est un Lego. Ou encore: La vague NPD, c'est une aventure d'un soir sauf que la fille est enceinte. Ou enfin: Quand est-ce qu'on décrisse de ce pays-là? Sans oublier cette photo d'Obama, de Hillary Clinton et de leur regard accablé devant ce qui aurait pu être la soirée électorale canadienne et qui était en réalité l'attaque contre ben Laden.

Je regrette de ne pas avoir noté les dizaines d'autres tweets savoureux et bourrés de dérision qui, depuis, se sont perdus dans les profondeurs du cyberespace. Je leur en suis gré d'avoir sauvé ma soirée électorale en y introduisant de la spontanéité, de l'irrévérence et un sentiment grisant de liberté, absent des émissions de télé écrasées par le poids de leur sérieux et par la rigidité de leur machine.

Il n'y avait peut-être pas de savantes analyses politiques sur Twitter mais après un mois de campagne électorale, autant dire qu'on en avait soupé des savantes analyses, toujours livrées par la même poignée de commentateurs qui ne font que se répéter à l'infini.

Depuis hier, plusieurs estiment que si les Québécois ont voté massivement pour le NPD, c'était pour fuir la prison étouffante du statu quo. L'analogie pourrait s'appliquer aux médias sociaux qui, pour la première fois dans l'histoire politique du pays, ont offert une alternative ludique et interactive au statu quo et au carcan traditionnel de la soirée électorale.

Plus les médias sociaux s'immiscent dans notre quotidien, plus ils changent notre rapport au discours public, aux institutions et même à un incontournable rituel comme la soirée des élections. Un jour, peut-être que cette soirée se déroulera uniquement sur Twitter. En attendant, ne perdez pas espoir puisque comme l'écrivait si bien une dénommée Lauzon, il ne reste plus que 1875 jours... avant les prochaines élections fédérales.

Photo: fournie par Radio-Canada

Patrice Roy, un des commentateurs télé de la soirée électorale de lundi.