Je m'en veux beaucoup, mais je n'y peux rien: je suis devenue complètement accro à Un souper presque parfait, le succès surprise de V. Je m'en veux parce que cette téléréalité appartient à un genre que généralement j'abhorre. Parce que c'est un format étranger et que j'essaie dans la mesure du possible de ne pas encourager la prolifération sur nos ondes des concepts qui viennent d'ailleurs. Et parce que cette émission a bénéficié à Tout le monde en parle d'une publicité extraordinaire et un brin suspecte, puisque celui qui produit TLMP pour Avanti Ciné Vidéo produit aussi Un souper presque parfait pour Zone 3.

Ces considérations mises de côté, cette émission me fascine. Depuis quelques semaines, j'en mange tous les soirs, quitte à le faire devant une télé cachée dans un coin afin de ne pas soulever l'ire de mon bien-aimé qui ne partage pas mon enthousiasme.

Ce qui me fascine avec ce souper jamais parfait auquel participent cinq concurrents par semaine, c'est qu'il nous ouvre une fenêtre sur les habitudes alimentaires des Québécois moyens, sur leur rapport à la bouffe, leur façon de recevoir, les décors où ils vivent et même la vaisselle (souvent carrée) dans laquelle ils mangent. Cette émission nous permet de mesurer, de façon non scientifique et partielle, mais néanmoins très pratico-pratique, le degré de culture ou d'inculture de la société.

D'entrée de jeu, j'avoue que j'ai été surprise par le niveau d'alphabétisation culinaire des concurrents. Je ne croyais pas que le Québécois moyen cuisinait à ce point-là ni qu'il était aussi fonctionnel dans une cuisine. Cela ne veut pas dire que tous les participants de l'émission, triés sur le volet et choisis selon un «casting» bien précis, sont des cordons bleus. Il y a toujours dans la mêlée un aspirant gastronome pour plusieurs épais, qui se pensent meilleurs que les autres malgré leur penchant Cheese Whiz ou Pillsbury. Ce fut le cas cette semaine avec une certaine Jessyca de Québec et les trois tonnes de Philadelphia dont tous ses plats infects ont été bombardés. Mon jugement à l'égard de cette étudiante de 21 ans aurait été plus tendre si elle n'avait cessé, depuis le début de la semaine, de cracher dans la soupe des autres, de ne pas aimer ceci ou cela, et d'exiger des autres une perfection qu'elle est incapable de produire. Quand on annonce que son nirvana culinaire personnel est un MacGangbang, la moindre des choses, c'est de ne pas lever le nez sur le saumon en tataki du voisin. Reste que Jessyca ne battra jamais l'hilarante et très titubante Mélanie, une aspirante humoriste, qui a saoulé ses invités au Sour Puss et leur a servi une bouffe parfaitement dégueulasse sur la patinoire intérieure (oui, oui) du sous-sol d'une horrible MacMaison.

Pour ceux qui ne l'auraient pas compris, Un souper presque parfait est une compétition qui exige des participants une performance gastronomique minimale. Dans l'adaptation française, les participants se fendent en quatre pour mitonner mini cannelles de foie gras et de figues, blinis de saumon, pintades aux truffes, souris d'agneau au thym et tutti quanti. Pendant ce temps-là au Québec, on est dans le porc, le poulet et la déconstruction du pâté chinois. Autrement dit: dans le quotidien, le banal, le rabais Métro et le produit en canne. L'activisme culinaire des chefs québécois qui militent depuis des années pour la qualité et la saveur du produit saisonnier local n'a de toute évidence pas eu d'écho auprès des participants de l'émission. Ce n'est pourtant pas faute d'argent puisque chacun reçoit 300$ pour préparer le souper. Mais l'absence de culture, de curiosité et de connaissances élémentaires font en sorte que les participants confondent souvent l'alimentaire et la gastronomie. Leurs tables sont toujours bien mises avec abondance de vaisselle compliquée et de verrerie. Or, à quoi bon une belle assiette si ce qu'il y a dedans est insignifiant ou coupe l'appétit? Mais ne soyons pas snob. Avec des cotes d'écoute qui ne cessent de grimper, cette téléréalité est en train de déniaiser les Québécois. À force de la regarder, peut-être vont-ils finir par comprendre que cuisiner est un art et qu'il y a une vie après le pâté chinois.