Dire que j'attendais avec impatience l'entrée en ondes de Sun TV News, le nouveau bébé de Quebecor Media, serait mentir. Après tout, nous sommes en 2011 et l'arrivée d'une nouvelle chaîne qui s'ajoute aux centaines déjà disponibles et sur lesquelles on ne trouve jamais rien, a depuis longtemps cessé d'être un événement. Tout de même, j'étais curieuse. D'abord des animateurs. Seraient-ils affublés d'une coiffe d'Indien, comme Guy Fournier au lancement de TQS? Porteraient-ils des chapeaux de cow-boy, ou mieux encore, des cornes et des fourches pour faire honneur à leur réputation de démons de la droite enragée? Arriveraient-ils avec des pics et des pelles pour déterrer les «hard news» de leur slogan? J'ai sans doute trop d'imagination pour les gens de Sun TV News. Car, si je me fie à leur première soirée en ondes lundi, les animateurs ne portaient rien de spécial sinon des complets mornes, des cravates criardes et des coupes de cheveux exécutées à la va-vite par le cousin d'Edward Scissorhands. Du côté des animatrices, par contre, on semble n'avoir retenu qu'un modèle; celui de la pitoune clinquante trop maquillée, les cheveux figés dans le saindoux du spray net, faisant office de bonbon télévisuel, avec ses talons hauts et sa mini-jupe de discothèque. On me dit que ces dames ne sont pas que jolies, mais que ce sont aussi de grandes journalistes. Si c'est le cas, expliquez-moi pourquoi les cinq grandes émissions du prime time sont animées par les complets cravates. Pas une grande journaliste à l'horizon aux heures de grande écoute, preuve qu'à Sun TV News, on aime sa journaliste, peut-être pas au foyer, mais pas loin.

Côté programmation, j'ai manqué l'hymne national canadien, mais pas les interminables infos pub du Dr Ho, un Chinois surexcité qui vend des semelles orthopédiques. Après quoi, j'ai plongé dans le merveilleux monde de Theo Caldwell, un investisseur, auteur et vedette de l'industrie du commentaire. Il me semble qu'il commentait une nouvelle très canadienne: l'éventuelle candidature de Donald Trump à la présidence américaine. Mais l'animateur avait oublié de prendre son Ritalin et parlait de manière si précipitée que j'ai rien compris. J'ai pas compris non plus ce que venait faire un vieux barbu sur lequel Theo n'en finissait plus de s'extasier en le remerciant avec effusion de faire partie de son émission, sans jamais lui donner la parole ni lui demander son opinion. Mon conseil à Theo: respire par le nez, mon vieux, sinon tu ne te rendras pas au bout de la semaine.

Après Theo l'investisseur est arrivé Brian Lilley, le «guerrier culturel» en guerre contre la rectitude politique, qu'il entend faire voler en éclats. Autant dire que lundi, ça ne volait pas très haut et que ça n'explosait pas fort chez le guerrier culturel. Sa première invitée, une dame à la tête de l'Institut du mariage et de la famille Canada, nous a rappelé que l'avortement était un crime contre l'humanité et que Stephen Harper était un lâche de ne pas s'y opposer. Puis la question de l'avortement réglée, Brian Lilley est passé à son dada et à son obsession: la CBC et la dilapidation des fonds publics dans la comédie musicale sur Brian Mulroney.

Selon le guerrier culturel, la CBC a investi 1 million dans la production du film musical Mulroney, An Opera mais devant le résultat désastreux, l'a retiré de sa grille horaire et exigé qu'on enlève le nom de la CBC au générique. Le seul scoop de cette affaire, c'est la somme de 1 million que personne n'avait réussi à chiffrer jusqu'à maintenant. Si c'est le bon chiffre (et cela reste à prouver), c'est effectivement dérangeant et digne d'intérêt public. Pour le reste, l'histoire du désaveu de la CBC est sortie dans les journaux de Toronto il y a plus de trois mois. En plus, selon plusieurs critiques de cinéma, le film est loin d'être un désastre. Mais le guerrier culturel est catégorique: le film est pourri. Moi, j'aurais été prête à le croire s'il avait fait preuve d'un minimum de transparence en révélant que Brian Mulroney, la star du film maudit, est le VP du conseil d'administration (CA) de Quebecor et membre du CA de Quebecor Media et que deux des patrons de Sun TV News ont été ses proches collaborateurs quand il était premier ministre. Le guerrier culturel n'a jamais soufflé un mot sur le sujet, se contentant de réclamer plus de transparence de la CBC sans être capable d'en produire lui-même.

Mais ce qui m'a le plus frappée pendant cette première soirée sur Sun TV News, c'est l'aspect parfaitement déconnecté et sans réelle identité ou ancrage de l'entreprise. Un Martien syntonisant cette chaîne lundi n'aurait jamais su que le Canada est en pleine campagne électorale ni même que le Canada est un pays distinct des États-Unis. Quant à un Martien d'origine québécoise, il aurait beau chercher la preuve de l'existence du Québec, il ne l'aurait pas trouvé. J'imagine que les choses vont se préciser avec le temps et que dans deux mois, au moment où la chaîne va devenir payante, elle aura plus de substance à offrir aux Canadiens en manque d'opinions tranchées toujours dans le même sens par le même couteau. Pour ma part, il sera sans doute trop tard.

Photo: PC

La nouvelle chaîne Sun TV News de Quebecor Media faisait ses débuts lundi soir. Ici, l'avocat et militant de droite Ezra Levant pendant son émission The Source.