Elle s'appelle Rebecca Black. Elle a 13 ans et toutes ses dents. Il y a un mois, personne ne savait qui elle était. Aujourd'hui, elle est ce qu'on appelle la sensation virale de l'heure. Aujourd'hui, Rebecca et sa chanson Friday trônent au sommet du palmarès de YouTube après avoir enregistré 43 millions de clics. Quarante-trois millions!

Tout cela grâce à un vidéoclip payé par ses parents et réalisé par une petite entreprise qui se spécialise dans le clip à compte d'auteur pour gosses de riches. ABC l'a invitée sur le plateau de Good Morning America à raconter son histoire puis à chanter sa chanson. Bref, Rebecca vit une sorte de conte de fées à une nuance près: si sa chanson a été cliquée autant de fois, c'est d'abord et avant tout par dérision. La vaste majorité des internautes qui ont relayé sa chanson l'ont fait parce que, selon eux, ce n'est pas seulement la pire chanson de l'année, c'est la pire chanson du monde. Or, même s'ils n'ont pas entièrement raison, ils n'ont pas entièrement tort non plus. Comment en effet trouver une quelconque valeur artistique à une chanson qui commence par: 7h, faut que je me réveille, faut que je sois fraîche, faut que je descende, faut que j'aie mon bol, faut que je mange mes céréales.... Plus loin, en apercevant ses amis qui roulent en voiture, l'interrogation poétique de Rebecca se résume à savoir où s'assoir: banquette avant ou arrière? Finalement, dans une sorte de finale à la gloire du week-end, elle chante: aujourd'hui, c'est vendredi, vendredi. Demain, c'est samedi. Et après-demain, ça sera dimanche.

Si au moins il y avait une once d'humour ou d'ironie dans la chanson, on pourrait applaudir l'audace de son absurdité. Mais non, tout cela est sérieux, pour ne pas dire sérieusement débile.

L'entreprise qui a produit ce bijou de nullité s'appelle Ark Music Factory. Elle est située à Los Angeles, ville où toutes les petites filles riches rêvent de devenir Miley Cyrus. Pour 2000$, la société fournit paroles, musiques, console d'enregistrement et équipe de tournage pour le vidéoclip. Le site de l'entreprise présente d'ailleurs ses autres futures vedettes qui s'appellent Abby, Alana ou Madison et sont âgées de 9 à 16 ans. La plupart chantent mieux que Rebecca Black et semblent avoir plus de goût en matière de chanson. Pourtant, elles sont passées sous le radar et n'ont pas réussi à se faire remarquer, preuve que ce n'est plus le talent, mais l'absence de talent qui est en train de devenir une vertu, sinon un facteur de reconnaissance. Du moins sur le web qui semble être de plus en plus fréquenté par des gens qui ont épuisé leurs facultés d'empathie et d'émerveillement.

C'est l'aspect le plus déplorable du web et de sa communication virale qui, dans un cas comme celui-ci, vire carrément à la cruauté, à l'humiliation publique, à l'insulte et à la diffamation.

Rebecca Black a beau avoir ses fans, elle a surtout une armée de détracteurs qui ne se gênent pas pour dire tout le mal qu'ils pensent d'elle. Quant aux plus tordus et frustrés d'entre eux, ils n'hésitent pas à souhaiter publiquement sa mort. C'est du moins ce qu'elle a confié à la journaliste d'ABC. Et ça vous fait de la peine? lui a demandé cette dernière. Rebecca a répondu oui, comme de raison, avant de se rabattre sur ceux qui l'aiment et qui lui disent qu'elle a changé leur vie, ce qui n'est guère plus brillant.

Certains prédisent que Rebecca va devenir la Justin Bieber féminine. J'en doute. À mon avis, après avoir connu ses 15 minutes - et ses 43 millions de clics - de gloire, Rebecca va retourner à son anonymat. Elle sera probablement remplacée par une plus jeune, une plus folle et une plus poche, qui fera se bidonner les bougalous. On connaît la chanson et, malheureusement, elle ne s'améliore pas avec le temps.