John Galliano n'est pas le seul à être tombé à cause d'Hitler cette semaine. Au moment où le designer de Dior était interrogé dans un commissariat de Lille pour ses propos antisémites, à Berlin, un jeune Québécois de 30 ans était arrêté à son tour. Planté devant le Reichstag, l'innocent venait de demander à sa copine de le prendre en photo pendant qu'il faisait le salut hitlérien. Dans le temps que ça prend pour crier achtung, les flics avaient saisi l'appareil photo, confisqué sa carte mémoire et menotté l'imbécile avant de l'amener au poste le plus proche. En Allemagne, comme en France, s'afficher avec des symboles ou en faisant des gestes nazis est considéré comme un crime grave, passible de six mois de prison. Galliano en sait quelque chose. Après qu'une vidéo où il déclarait adorer Hitler a été mise en ligne, il a été viré de chez Dior et il doit maintenant faire face à la justice française. Mercredi, il a présenté des excuses publiques avant de partir en cure de désintox. Le jeune Québécois s'en est mieux tiré, écopant seulement d'un avertissement, d'une amende et de la certitude qu'on ne badine pas avec Hitler. En effet.

Soixante-six ans après la découverte du cadavre calciné du Führer dans les ruines du IIIe Reich, Hitler demeure une plaie vive dans l'inconscient collectif allemand et une tache honteuse dans l'histoire du pays. Malgré cela, en octobre dernier, le Musée historique allemand de Berlin a décidé de confronter les démons du passé en présentant une exposition exhaustive sous le titre Hitler et les Allemands. Il y a bien entendu eu des cris, des protestations et des reproches des médias allemands accusant les conservateurs d'avoir tablé sur la fascination plutôt que sur l'analyse et la compréhension. Mais l'expo a tellement bien marché auprès du grand public qu'elle a été prolongée de trois semaines, enregistrant au total 250 000 entrées en quatre mois.

Par un petit mercredi frileux de février, alors que j'étais à Berlin pour le Festival du film, je suis allée faire un tour. Il était 15h et je m'attendais à me retrouver seule parmi les croix gammées au milieu d'un musée silencieux et vide. Surprise! Il y avait foule dans chacune des huit salles: des jeunes, des moins jeunes, des Allemands, pour la plupart, venus affronter le passé et peut-être exorciser le grand démon.

Ne comprenant pas l'allemand, je n'ai pas été en mesure de lire tous les panneaux explicatifs détaillant les photos, les lettres, les documents, les affiches et les objets. Mais j'ai pu saisir l'essentiel, qui se résume en un mot: propagande - et son pendant moderne, marketing. Bien sûr, on ne peut expliquer Hitler et le nazisme que par le marketing. Pour que la terrible machine nazie existe, il fallait un terreau fertile que la crise économique, un climat politique pourri, une inégalité criante entre les classes sociales et un désespoir ambiant ont fourni. Mais Hitler n'est pas devenu un monstre tout seul. Il a eu besoin d'encouragement, de cautions et de financement, carburants qu'il a trouvés auprès des dames de la bonne société allemande qui l'ont appuyé, financé, cajolé, sorti de la taverne et introduit dans les salons bourgeois afin de le rendre socialement acceptable. Une fois ce travail accompli, ne restait plus qu'à lancer la terrifiante campagne de manipulation. Des millions d'uniformes nazis ont été fabriqués et distribués gratuitement à quiconque adhérait au parti, sans égards à la classe sociale. Les villes ont été tapissées d'affiches et de bannières où clignotaient des croix gammées. Toutes les écoles du pays devaient afficher des photos du Führer. Sur les places publiques et à l'entrée des édifices, ses bustes en bronze se reproduisaient à l'infini. Dans les magasins, cartes, jeux, jouets, tabliers et boutons de manchette arboraient fièrement le sigle nazi. Le nazisme n'était pas qu'un mouvement, qu'une idéologie, qu'une folie totalitaire, qu'une machine à détruire. C'était aussi une marque: la plus terrifiante de l'Histoire. On ne doit jamais badiner avec elle ni avec le monstre qui l'a créée.