Les chiffres ne font pas que parler, parfois ils tuent. Prenez ceux du Festival d'été de Québec. Depuis que l'événement a pris le virage anglo-saxon et s'est mis à présenter sur les Plaines des blockbusters à la sauce Black Eyed Peas, leurs chiffres n'ont cessé d'augmenter. L'été dernier, le festival a atteint le sommet record 1,475 million de festivaliers. C'est 250 000 de plus que l'an passé et une augmentation de 75% par rapport à 2006.

Devant cette preuve en espèces sonnantes et trébuchantes, je vois mal comment le FEQ pourrait virer Dominique Goulet, sa directrice de programmation, comme le réclamait cette semaine le producteur de Marjo, Nicolas Lemieux.

Ce dernier s'indigne du peu de considération que la directrice porte à la chanson d'expression française et du mépris à peine larvé qu'elle manifeste pour ceux qui s'entêtent à chanter en français. Disons qu'il n'a pas tort.

Rappelons que la directrice en question, dont la plus grande fierté professionnelle est d'avoir réussi à attirer à Québec un groupe de métal allemand, a déjà déclaré que la chanson francophone n'était pas la voie de l'avenir. Pour en rajouter, la dame a refusé de programmer Marjo et ses hommes l'été prochain sous prétexte que Marjo n'a pas suffisamment de pouvoir d'attraction pour remplir les Plaines.

Je comprends la colère de Nicolas Lemieux. C'est insultant en diable de se faire dire qu'en 2010, on n'est pas maîtres chez nous. Sauf que toute cette histoire m'a rappelé une aventure. Au printemps dernier, j'ai invité ma progéniture à m'accompagner au Centre Bell voir Marjo et ses hommes, histoire de parfaire sa culture des classiques québécois. Je lui avais expliqué, au préalable, qui était Marjo, le symbole de fougue et de féminité qu'elle avait été, son âme de rockeuse et son importance dans le panorama musical québécois.

Mon fils s'était prêté de bonne grâce à l'exercice, curieux de voir à quoi ressemblait l'idole de jeunesse de sa mère. Je ne sais pas à quoi il s'attendait. Je sais seulement que dans ce même Centre Bell, il avait déjà vu Lady Gaga, Madonna, Muse et Britney. À ses yeux, Marjo ne leur arrivait pas à la cheville, ni même au talon. Il est parti à l'entracte.

Je n'essaie pas d'excuser l'orientation du FEQ ni de sa directrice avec cette anecdote. J'essaie seulement de comprendre comment une culture comme la nôtre peut-elle survivre à la mondialisation de la musique et, pis encore, à la concurrence anglo-saxonne et à ses moyens de production et de diffusion énormes? Comment en fin de compte faire en sorte que les jeunes Québécois de 2010 ne soient pas uniquement gagas de la musique des autres, mais aussi de celle qui se fait ici?

Dans une entrevue, Dominique Goulet racontait qu'à un souper entre amis, elle avait offert 100$ à quiconque trouverait un artiste francophone capable de remplir les Plaines. Ses amis étaient peut-être gavés ou trop soûls, toujours est-il que personne n'a trouvé de nom. Goulet est repartie avec son argent, comme elle aime le rappeler.

À la fin du communiqué annonçant les chiffres mirobolants du FEQ, son PDG Daniel Gélinas déclare que son grand objectif, c'est de faire plaisir à son public. Personnellement, je crois que le grand objectif du FEQ est de faire de l'argent. Mais puisqu'il est question de plaisir, rappelons qu'il s'agit d'une sensation agréable liée à la satisfaction d'une tendance ou d'un besoin.

Pour la tendance, aucun problème. La tendance en musique aujourd'hui est effectivement à l'anglais et à sa mondialisation. Pour ce qui est du besoin, par contre, c'est une autre histoire. Les Québécois ont peut-être besoin de voir Madonna, Lady Gaga ou Black Eyed Peas pour danser et se divertir. Mais pour sentir qu'ils appartiennent à une culture qui leur est propre, qu'ils parlent une langue légitime et qu'ils ne sont pas sous-doués pour autant, ils ont aussi besoin de voir sur les Plaines des gens qui leur ressemblent. Pas pour l'argent. Pour le symbole.

Quoi qu'en pensent les gens du FEQ, le vrai plaisir, c'est de savoir qu'on existe pour soi-même et pas toujours à travers les autres.