Pour certains, Damien Hirst est à la peinture ce que Michel Houellebecq est à la littérature. L'image est d'autant plus juste que si ce n'était d'Houellebecq, je n'aurais aucune idée de qui est Damien Hirst.

Je ne suis pas fière de l'avouer, mais j'ai découvert Damien Hirst en lisant La carte et le territoire, le dernier Houellebecq. Le roman commence avec une scène saisissante réunissant, dans un tableau qu'est en train de peindre le personnage principal, les artistes américain Jeff Koons et britannique Damien Hirst. «Hirst était facile à saisir, écrit Houellebecq. On pouvait le faire brutal, cynique, genre je chie sur vous du haut de mon fric. On pouvait aussi le faire artiste révolté mais quand même riche, poursuivant un travail angoissé sur la mort.»

Deux phrases et la table est mise pour cet artiste controversé de 45 ans, fumiste pour les uns, révolutionnaire pour les autres, dont on peut voir une trentaine d'oeuvres pour la première fois à Montréal, pour ne pas dire au Canada.

C'est la galerie de Bellefeuille de l'avenue Greene qui, après des années de lobbying, a obtenu l'insigne honneur de présenter des oeuvres de Damien Hirst et leur débauche colorée de papillons, de pilules, de pharmacies et de crânes humains.

Dans l'imposante revue de presse consacrée à Damien Hirst, presque tous les articles commencent par des chiffres. En 2007, Hirst a battu des records en vendant pour 100 millions un crâne incrusté de 6000 diamants. L'année suivante, aux enchères de la maison Sotheby's, Hirst a fait des ventes de 279 millions avec des oeuvres qui sortaient directement de son atelier. Un an plus tard, la récession a réduit leur valeur à 19 millions. Ajoutez à cela des accusations répétées de plagiat que Hirst réfute en invoquant hommages et citations. Et impossible de ne pas sentir le parfum sulfureux qui flotte en permanence autour de Damien Hirst.

Malgré cela, tous les collectionneurs de Montréal se sont rués à la galerie de Bellefeuille cette semaine, même si l'expo ne commence officiellement qu'aujourd'hui. Mieux encore, plusieurs des oeuvres exposées au sous-sol de la galerie ont déjà été acquises. Prenez son autoportrait daté de 2008 et constitué d'un caisson lumineux au milieu duquel trône deux radiographies de son propre crâne. Prix? 62000$. Trois collectionneurs montréalais en ont acheté chacun un. Prenez les cinq crânes en résine de synthèse peints de couleurs éclatantes. Vendus eux aussi: 54000$ pour les colorés, 26000$ pour le noir et blanc. Ou prenez cette grande sérigraphie avec le dessin d'un coeur, inspiré des coeurs de Jim Dine, mais constellé de papillons et de poussière de diamants. Prix 48000$. Vendu.

On pourrait croire que Damien Hirst ne crée que pour les Guy Laliberté de ce monde. Erreur! Dans sa grande bonté subversive mais toujours mercantile, Hirst a aussi produit des oeuvres abordables comme ces eaux-fortes de papillons pour 4000$ chacune. Pour les plus petits budgets, Hirst a conçu une série de transats dont les toiles aux couleurs vives sont constellées de papillon et des horloges au quartz avec boîtier métallique blanc dont les chiffres sont remplacés par ses célèbres pastilles de couleur. Les prix varient ici entre 500$ et 700$. Bon, d'accord, ce n'est pas à la portée de tout le monde, mais ce n'est pas le Pérou non plus.

Houellebecq évoque le travail angoissé sur la mort de Hirst. Pour ma part, j'ai senti qu'il avait l'angoisse plutôt joyeuse et pétante de couleurs. Exception faite du crâne de son autoportrait, les autres crânes, avec leur poussière de diamants et leurs teintes psychédéliques, ont plutôt l'air de se marrer. Peut-être est-ce cela, la vraie subversion: présenter la mort en riant. Ou peut-être la subversion n'est-elle rien d'autre qu'un artiste travesti en homme d'affaires qui chie sur nous du haut de son fric et qui est mort de rire chaque fois qu'il va à la banque. C'est selon.