À l'ouest de Port-au-Prince dans un bidonville près de Croix-des-Bouquets, une journaliste du New York Times a abordé une Haïtienne de 38 ans, enceinte de son quatrième enfant. La journaliste voulait savoir ce que cette mère, accablée par la vie, pensait de Wyclef Jean, la star du hip-hop qui venait de se porter candidate à la présidence de Haïti. La réponse a fusé dans l'air, rapide comme une flèche, fervente et exaltée comme une prière: «Après Dieu, Wyclef», a lancé Jocelyne Augustin.

Je serais curieuse de savoir si Jocelyne pense encore la même chose et, le cas échéant, combien il reste d'ardents fidèles dans le fan-club en déroute de Wyclef Jean.

Pourtant, il y a à peine trois semaines, lorsque la star du hip-hop et ex-membre des Fugees s'est lancée dans l'arène politique, tous les espoirs semblaient permis. La jeunesse haïtienne l'appuyait inconditionnellement. Des membres influents de la diaspora haïtienne aussi. Et pour quiconque a déjà écouté la musique de ce formidable artiste ou qui l'a vu en concert, il était difficile de ne pas s'enthousiasmer. Au rayon de la crédibilité artistique, Wyclef Jean avait une des meilleures places disponibles sur le marché. Même les sceptiques, qui doutaient de l'instinct politique et des capacités administratives d'un candidat qui ne parlait pas créole, finissaient par conclure que ce serait toujours mieux d'avoir comme président un artiste anglophone, engagé et millionnaire qu'un impuissant parlant créole, mais sans moyens et sujet à la corruption.

Mais tout cela est chose du passé. Il n'a fallu que trois petites semaines pour que le capital de sympathie à son égard soit complètement dilapidé et pour que sa crédibilité fonde sous la méfiance.

Sean Penn a lancé la première pierre sur CNN et elle a fait d'autant plus mal que l'acteur a vécu pendant plus de six mois à Haïti après le séisme, où il a dirigé des opérations de sauvetage et organisé des hôpitaux et des écoles de fortune avec la bénédiction de l'armée américaine. Or, l'acteur et travailleur humanitaire a affirmé que Wyclef Jean avait brillé par son absence en Haïti pendant les six mois de l'après-séisme. Il a raconté que la seule fois où il l'avait vu sur le terrain, Jean roulait en voiture de luxe en exhibant une richesse déplacée. Mais surtout, Sean Penn a avancé que Jean était l'instrument d'intérêts privés haïtiens et d'intérêts d'entreprises américaines et qu'il n'était pas l'homme du peuple.

En parallèle, les problèmes de l'artiste avec le fisc, concernant l'absence de transparence dans la gestion de Yéle Haiti (l'ONG qu'il a fondée en 2005 et dont 400 000$ ont été détournés pour produire ses vidéos de charité), se sont multipliés.

Cette semaine, en attendant de savoir si la candidature de Wyclef Jean serait finalement retenue, un éditorial du New York Times l'a renvoyé à sa comptabilité en lui demandant d'ouvrir les livres de son ONG. L'éditorial lui a aussi conseillé d'arrêter de mettre la charrue avant les boeufs et de commencer par habiter un pays qu'il a quitté à l'âge de 9 ans, avant de vouloir en devenir le président.

La réponse de Wyclef Jean à cette mauvaise publicité a été plutôt décevante. Au lieu de se battre, il a disparu de la carte. On l'a retrouvé caché dans un lieu secret à la suite de menaces de mort qu'il aurait reçues. Un candidat à la présidence qui plie aussi vite devant la menace n'a rien de rassurant.

En fait, plus le temps passe et plus l'homme engagé qui a forcé notre admiration et entraîné notre adhésion se déconstruit et se décompose. Tout ce qui semble rester de Wyclef Jean, c'est l'artiste narcissique, trop riche et un brin prétentieux qui, à force de se faire seriner qu'il était génial, a fini par croire qu'il avait tous les talents, y compris celui d'être le président d'Haïti. Autant dire qu'il s'est trompé.