La pilule a eu 50 ans cette semaine. Le premier mot qui me vient à l'esprit en y pensant, ce n'est pas liberté, ni libération, ni révolution. C'est insouciance, un mot léger, frivole, insolent et rempli de bulles de champagne. Liberté et révolution, c'est pour la génération de ma mère. Des femmes qui sont devenues femmes avec la peur au fond du ventre et l'angoisse à chaque fin de mois quand le calendrier menstruel se détraque et qu'une trappe s'ouvre, avalant l'avenir et sa mer de possibilités.

Pour ces femmes, minées par la culpabilité, traumatisées chaque fois qu'elles faisaient l'amour, éprouvées par des grossesses involontaires et par des avortements honteux, dangereux et clandestins, la pilule a été une planche de salut, une bénédiction, le début de la grande libération. Pour certaines, même, ce cadeau de la science était trop beau. Les premiers mois, elles n'arrivaient pas à y croire, convaincues qu'une petite pilule de rien du tout ne pourrait jamais complètement empêcher la nature de faire son oeuvre. Mais la pilule a fini par avoir raison de leurs doutes et par se transmettre de mère en fille à une nouvelle génération: la mienne. 

Pour cette génération dont l'éveil du printemps a eu lieu pendant les années 70, la pilule n'était ni une victoire ni un miracle. C'était un acquis, un truc normal et aussi banal qu'un bal de fin d'études, qui nous poussait chez le médecin à 16 ou 17 ans, vierges mais prévoyantes, au cas où l'amour nous surprendrait et nous fasse culbuter dans son lit.

En allant acheter notre première plaquette de pilules à la pharmacie, nous étions fières, souveraines et persuadées d'être de vraies femmes. Que nous le soyons devenues sans passer par la procréation ne nous a même pas effleuré l'esprit. La procréation? Connais pas.

Tant et si bien que pour beaucoup de filles de ma génération, la maternité a fini par devenir un concept abstrait, lointain, un truc ancestral qui ne faisait pas partie de nos vies. En prenant la pilule, non seulement nous n'avons pas fait d'enfants, nous avons aussi oublié que nous pouvions en faire. Pas toutes, bien entendu, mais assez d'entre nous pour que le taux de natalité plonge et amorce son déclin.

Et puis les années ont passé et la pilule a perdu de son charme et de son infaillibilité. Après l'euphorie de la libération sexuelle, la déprime des dérèglements, des maladies transmises sexuellement et parfois aussi des maladies mortelles. Il a fallu réviser nos positions, reconsidérer nos choix et nous réapproprier ce corps dont on avait sous-estimé la vraie nature. Plusieurs femmes de ma génération ont abandonné la pilule aussi vite qu'elles l'avaient adoptée. Une nouvelle génération a pris la relève, mais avec la conscience aiguë que si la pilule prévenait les enfants, en revanche, elle invitait un chapelet de maux, de désillusions et de bouleversements sociaux.

Qu'à cela ne tienne: la pilule a eu 50 ans cette semaine. Ne soyons pas tristes mais reconnaissants qu'elle soit encore parmi nous et qu'elle continue d'accorder un pouvoir inestimable aux femmes: celui de contrôler la reproduction. Aujourd'hui, grâce à la pilule, les femmes peuvent prolonger leurs études, amorcer une carrière ou fonder une famille quand elles le décident. Elles sont peut-être moins insouciantes qu'avant, mais elles sont maîtres de leur destinée. C'est pas mal plus important.