Lhasa de Sela s'est éteinte chez elle dans le Mile End un peu avant minuit, le 1er janvier. On ne saura jamais si cette artiste discrète, mystérieuse et mélancolique, brûlant d'un feu intérieur peu commun, avait compris qu'elle ne passerait pas la rampe de 2010. Ce qu'on sait, par contre, c'est que ceux que Lhasa appelait ironiquement ses microscopiques ennemis, et contre lesquels elle luttait âprement, ont finalement eu raison d'elle.

On sait aussi que ce n'est pas un hasard si cette étoile filante, princesse de l'envoûtement et fée des larmes, disait «ennemi» plutôt que «cancer». Pendant toute la durée de sa maladie, Lhasa de Sela n'a jamais publiquement prononcé le mot cancer. Et il y a six mois, quand elle a réuni ses musiciens et les gens de son équipe pour leur annoncer l'annulation d'une tournée internationale, elle les a suppliés de rester discrets et de ne pas ébruiter la nature de ses ennuis de santé.

La dernière chose que voulait Lhasa de Sela, c'est que sa maladie devienne matière à spectacle. Que sa maladie soit en manchette, en haut de l'affiche et fasse de l'ombre à sa musique et à sa poésie. Dans un monde où chaque drame, petit ou grand, se vend au kilo, elle a toujours refusé de marchander le sien. Jusqu'à la dernière minute de la dernière heure de sa vie, Lhasa de Sela a été une artiste plutôt qu'une trop jeune femme atteinte d'un cancer.

Et si jamais, au cours de ses dernières heures, elle a réfléchi à la mort qui faisait le guet sur le pas de sa porte, j'ose croire qu'elle l'a envisagée comme un événement intime, une communion solennelle, un rite sacré et finalement comme un appel au silence et au recueillement de ses proches et de sa famille. La mort pour Lhasa devait être bien des choses, mais certainement pas un cirque, un spectacle ni une grosse nouvelle à lancer dans le bûcher des vanités de la blogosphère.

Malheureusement, Lhasa s'est éteinte à la mauvaise époque. À peine avait-elle rendu son dernier souffle qu'un de ses prétendus amis s'empressait de claironner sa mort sur son blogue, et ce, sans l'accord de l'entourage de Lhasa. Pourquoi et au nom de quelle urgence nationale, nous ne le saurons jamais.

Trop pressé de s'approprier la mort de son amie, le vaniteux s'est-il une minute soucié du chagrin de la famille de Lhasa? Non.

S'est-il demandé si les proches de la défunte avaient envie de partager aussi vite leur deuil avec la planète au complet? Non.

S'est-il même interrogé, ne fût-ce qu'une seule seconde, sur ses propres motivations, lui qui avait eu accès à une information privilégiée à titre d'ami et qui la récupérait à des fins de publicité personnelle? Non plus. L'éthique dans tout cela?

Pour le blogueur vaniteux, trop heureux de générer le vacarme qui lui permettra de s'exprimer sur n'importe quoi y compris la mort d'une artiste, l'éthique n'existe pas. Pas plus que des sentiments humains comme la pudeur, le doute et la retenue.

Dans cette triste affaire, on a fait grand cas du démenti de la maison de disque Audiogram qui, 24 heures après la mort de la chanteuse, a affirmé sur Twitter qu'elle se portait bien. Ce message en forme de mensonge était bien entendu une grosse erreur de jugement de la part du jeune attaché de presse pris de panique devant l'incendie de rumeurs qui flambaient sur la blogosphère.

Mais c'était aussi l'erreur humaine de quelqu'un qui essayait de respecter l'éthique de pudeur et de discrétion de Lhasa et de protéger ses proches. On pourra dire tout ce que l'on veut sur ce pauvre bouc émissaire de chez Audiogram, il n'en demeure pas moins que son démenti mensonger n'aurait jamais vu le jour sans l'existence d'un blogueur trop heureux de diffuser une information privée qui ne lui appartenait pas.

Un jour, il faudra que ceux qui tiennent des blogues et qui y déversent le contenu complet de leur vie et de celle des autres se posent des questions sur leur éthique personnelle si tant est qu'elle existe. En attendant, une belle et mystérieuse étoile s'est éteinte. Qu'elle repose en paix dans la nuit.