La photo de Jocelyn Michel est sobre et sans flaflas. On y voit l'animatrice d'ARTV, Catherine Pogonat, debout, légèrement de biais face à la caméra. Elle est nue de la tête aux pieds. Parfaitement nue sauf pour le bonnet de fourrure ironique qui auréole son visage. Pour le reste, seins, pubis, tout y est. Rien n'est laissé à l'imagination. C'est ce que les revues porno appellent un full frontal.

Mais il n'y a absolument rien de porno ni de racoleur dans ce portrait tout simple qui figure parmi onze autres portraits d'animateurs que l'on peut voir sur le site d'ARTV, en cliquant sur «portraits». Chacun représente une lettre du logo d'ARTV. Catherine Pogonat a hérité de A, pour audace, et a décidé d'y aller à fond la caisse, quoi que puissent en penser sa mère, sa tante ou ses voisins.

J'avoue qu'en entendant parler de cette photo sans l'avoir vue, j'ai d'abord pensé à un coup publicitaire de la part d'une exhibitionniste qui aurait désespérément besoin d'attention ou de faire mousser ses cotes d'écoute. Puis je me suis demandé quel pouvait être l'intérêt de poser nue de nos jours, alors que la norme sur les couvertures de magazines et dans les vidéo-clips, c'est d'être nue ou à moitié nue et que l'exception, c'est d'être habillée. Mais en cliquant sur la photo de Pogonat, mon scepticisme a fondu et j'ai trouvé que la dame avait du cran et un certain courage.

Pourquoi? D'abord parce qu'elle est une animatrice. Pas une danseuse de la troupe de Dave St-Pierre ou de n'importe quelle autre compagnie de danse contemporaine où tout le monde est toujours à poil. Pogonat n'est pas non plus une actrice de théâtre choisie pour interpréter Gertrude, la mère d'Hamlet, dans une pièce de Howard Baker où la nudité est de mise. Elle ne chante pas dans un groupe néo-trash où montrer un bout de peau vient avec le territoire. Catherine Pogonat est l'animatrice d'une émission culturelle sur la chaîne culturelle de la télé publique. Bref, elle oeuvre à l'intérieur d'un milieu relativement conservateur, et je parle ici de la télé publique en général. Mais surtout à titre d'animatrice de télé, Pogonat s'inscrit aussi dans le contexte plus large de sa propre société. Or, on ne peut pas dire que le Québec de cette fin 2009 est particulièrement friand d'audace. En télévision du moins. Les mères indignes et leurs petits rois de rejetons sont les héros de l'heure. La famille est la valeur cardinale que l'on invoque à tout bout de champ, surtout pour se faire pardonner un ego démesuré pratiquant les passe-droits dans les centres de vaccination.

Tous les producteurs rêvent d'émissions familiales et rassembleuses, de films où toute la famille peut trouver son compte. L demande familiale est tellement importante qu'on a même été obligé de ressusciter les Paré de La petite vie.

Dans un tel contexte, une animatrice de télé qui pose nue, et sans le moindre bébé pour cacher ses attributs, est un brin à contre-courant. Tout comme l'est l'aspect direct, franc, no bullshit de son portrait. Pogonat n'offre pas un faux nu à la Mara Tremblay avec ses cheveux placés stratégiquement sur ses seins ou à la Dominic Paquet, l'humoriste qui s'affiche nu mais avec une pastille pour masquer son sexe. Pogonat ne «guidoune» pas en porte-jarretelles et balconnet pigeonnant en se la jouant «bimbo» comme Anne-Marie Losique, ni en vamp dominatrice façon Rihanna. Elle se montre dans toute la simplicité de sa nudité avec un regard franc qui indique qu'elle assume complètement son geste.

A pour audace, en effet. Pogonat a eu l'audace d'aller jusqu'au bout de la démarche et, surtout, de le faire dans le contexte incontrôlable de l'internet. Mais aussi C pour courage, car à partir de maintenant, Pogonat va devoir vivre avec l'exploitation, bonne ou mauvaise, de ce portrait qui ne lui appartient plus.

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