Dans exactement 11 jours auront lieu les audiences du CRTC sur l'épineuse question des redevances. Les câblodiffuseurs qui croulent sous les profits faramineux, devraient-ils, oui ou non, verser des redevances et être redevables aux télés généralistes, comme ces dernières le réclament à cor et à cri afin de boucler des fins de mois de plus en plus difficiles ? Voilà la question de plusieurs milliers de millions qui sera sur la table dès le 16 novembre.

En attendant une réponse du CRTC, qui a déjà dit non à deux reprises à des redevances imposées, mais qui pourrait se montrer plus ouvert à des redevances négociées, les hostilités gagnent en intensité à mesure que les deux ennemis s'affrontent et s'invectivent par campagnes publicitaires interposées.

Dans le coin gauche, le camp des généralistes constitué de sept joueurs: CTV, Global, Radio-Canada/CBC, A, ChekNews, V et NTV. Dans le coin droit, le commando des câblos réunissant sous la bannière «Non à la taxe TV», Rogers, Bell, Cogeco, Shaw, Telus et Eastlink.

Ce sont évidemment les télés généralistes qui ont tiré la première salve en traitant les câblos de voleurs. Les câblos ont réagi en qualifiant les généralistes de sales menteurs. Les généralistes ont récidivé en mettant en ligne un dessin animé peuplé de vaches à lait dodues (les câblos) qui siphonnent impunément les verres de lait que vend un marchand de lait local.

Le commando des câblos a riposté avec un Pinocchio dont le nez allonge à chaque nouvelle statistique mensongère qu'il produit pour le compte de l'ennemi. Autant dire que les couteaux volent de plus en plus bas, même si l'enjeu demeure toujours le même: la modification d'une loi qui inviterait les câblodiffuseurs à verser des redevances de plusieurs millions, non plus uniquement aux chaînes spécialisées, mais également aux télés généralistes.

«À présent, votre fournisseur de câble et de satellite perçoit votre argent chaque mois pour notre service, mais ne paie rien aux stations locales pour les émissions que nous fournissons», peut-on lire sur le site matelelocale-jytiens.ca, mis en ligne par la coalition des télés généralistes. Plus loin, la coalition accuse ces mêmes câblos de cracher plus de 300 millions par année pour les chaînes américaines sans que ces dernières soient tenues de produire une seule minute de contenu canadien.

Tout cela est bel et bien vrai à une nuance près: chaque année, les câblos versent aussi 165 millions de dollars dans le Fonds canadien de télévision, qui sert à financer les productions d'ici. Même si cet argent ne va pas directement dans les coffres des télés généralistes, il y va de manière indirecte par le truchement des émissions que les généralistes achètent, et diffusent.

Bref dans cette histoire, tout le monde a raison et tout le monde à tort. Mais surtout, tout le monde tire la couverture de son bord du lit, laissant le pauvre cochon de consommateur dehors, grelottant de froid et de plus en plus accablé par des factures de câble qui augmentent, et des services qui correspondent de moins en moins à ses besoins.

Or, on aura beau régler une fois pour toutes la question des redevances, on n'aura pas réglé pour autant l'insatisfaction grandissante des consommateurs, qui en ont marre de payer pour tout et pour rien, marre de se faire imposer des bouquets de programmation pour lesquels ils n'ont aucun usage ni intérêt, marre de ne pas pouvoir payer à la pièce ni de pouvoir choisir à la carte, marre en fin de compte d'être les dindons d'une farce où ce sont toujours les mêmes qui s'enrichissent sur leur dos.

Il y a 10 ans, peu de gens pensaient pouvoir se passer du câble et encore moins de la télévision. Mais le monde a changé et la place de choix qu'occupait la télé lui a été volée par l'ordinateur. Aujourd'hui, de plus en plus de gens, affranchis de la télévision, dépendent uniquement du web, qui leur fournit aussi bien des nouvelles, de la musique, des films, des téléséries et mêmes des livres qu'ils peuvent télécharger, parfois gratuitement, et toujours quand bon leur semble.

Or, même si le web n'est pas gratuit et qu'il faut payer pour être branché, le jour où une masse critique de consommateurs endettés ou tout simplement écoeurés couperont le câble pour ne plus avoir à payer que des frais de l'internet, Rogers, Bell, Shaw, Cogeco et compagnie feront passablement moins d'argent qu'aujourd'hui.

C'est pourquoi, au lieu de s'entretuer sur la place publique, les belligérants devraient sérieusement songer à unir leurs forces pour freiner l'exode massif des consommateurs vers le web. Et s'ils ne peuvent se réconcilier, que les belligérants se souviennent au moins de cette vieille et sage citation: plus on est grand, plus on est redevable... au public.