Je ne pensais jamais que j'aimerais Génération Passe-Partout, le CD fait pour et par les poussinots et les poussinettes, amis de Cannelle et Pruneau.

D'abord, ce n'est pas tout à fait ma génération ni celle de mon rejeton, qui a eu la bonne idée de naître après ce tsunami télévisuel, m'épargnant un concert quotidien de petites voix stridentes, de leçons de morale, d'angélisme à la sauce gnangnan et de credos à la con plaidant que l'important n'est pas de gagner, mais de participer.

Convaincue depuis toujours que Passe-Partout était à la fois une gardienne idéologique et un cheval de Troie du ministère de l'Éducation conçu pour introduire la rectitude politique dans l'esprit des enfants, il y avait peu de chances que le CD de sa génération trouve preneur chez moi. Et pourtant, dès l'entrée en matière avec Des maisons, entonnée par la voix gentiment rauque de Coeur de pirate, j'ai tendu l'oreille. Au bout de quelques accords seulement, j'étais à la fois charmée et étonnée par ce savant mélange mélodique.

Le charme s'est poursuivi avec Alfa Rococo et les Lost Fingers. Et lorsque le rock tonitruant de Martin Deschamps a explosé dans la chanson Ils étaient quatre avant de céder son sillon aux sonorités subtilement arabisantes de Lynda Thalie ou que l'envoûtant Fred Fortin a entonné Zig Zag, j'étais conquise. Conquise par la musique de Pierre F. Brault, par les possibilités infinies qu'elle recelait et par les mariages qu'elle avait générés.

L'idée de réunir tous ces univers musicaux et de leur permettre d'exprimer leurs différences à travers la trame de Passe-Partout était décidément une jolie idée, me suis-je dit en contemplant le CD dont 8951 exemplaires se sont déjà écoulés. J'ai parcouru des yeux la pochette à la recherche du nom du réalisateur de génie qui avait fabriqué un si beau bijou. J'ai lu qu'il s'agissait de Pierre F. Brault et Charles Antoine Gosselin.

J'allais leur transmettre toutes mes félicitations lorsqu'au hasard d'une rencontre, j'ai appris que plusieurs artistes, qui avaient accepté avec enthousiasme de participer au projet, étaient en beau maudit.

Pourquoi? Parce que Pierre F. Brault et Charles Antoine Gosselin n'ont rien réalisé du tout. Au mieux, ils ont été les directeurs artistiques, voire les «dispatchers» de talent, ceux qui ont imaginé les jumelages entre les artistes et les chansons. Point. Pour le reste, chaque artiste s'est arrangé avec son réalisateur, ses musiciens et son budget d'environ 4000 $, sans jamais voir le bout du nez de Brault et de Gosselin en studio.

En tout, 43 musiciens et 14 réalisateurs ont participé au projet, chacun y allant de sa vision, de sa sensibilité et de sa touche personnelle. Leur nom n'apparaît nulle part sur la pochette du CD. Enfin, non, ce n'est pas tout à fait exact. Si vous avez l'habitude de lire les pochettes de CD avec une loupe en les tournant de tous bords, tous côtés, vous allez découvrir le long d'un pli du carton, écrite en minuscules pattes de mouche, une invitation à aller consulter le site du CD pour informations supplémentaires. Après quelques clics, les crédits des musiciens et des réalisateurs y apparaissent dans leur splendeur occultée. Mais la gymnastique pour y arriver est telle qu'elle mériterait l'attribution d'un diplôme pour ceux qui réussissent à trouver l'inscription.

Mécontents, plusieurs artistes ont protesté. Ils ont fini par obtenir des correctifs. En principe depuis hier, 15000 nouveaux CD ont été acheminés aux disquaires, munis de livrets où tous les crédits ont été inscrits et où Pierre F Brault et Gosselin ont désormais le titre de directeurs artistiques et non de réalisateurs. On peut toutefois se demander pourquoi les producteurs du CD n'y ont pas pensé avant. D'autant plus que ce n'est pas la première fois qu'il y a un problème de crédit avec Passe-Partout. Au lendemain de la parution du DVD, l'auteur et concepteur Laurent Lachance a en effet déposé une poursuite contre les producteurs Marie Eykel et Jacques L'Heureux pour non-reconnaissance de son droit d'auteur.

Chez Tandem Musique, le producteur exécutif Paul Dupont Hébert a expliqué que dans le cas du CD, il s'agit d'une maladresse qui a été corrigée dès qu'on s'en est rendu compte. Qu'il parle de maladresse et non d'erreur est assez symptomatique. Une erreur peut être involontaire. Une maladresse, un peu moins.

Depuis qu'ils sont tout petits, on raconte toutes sortes d'histoires aux poussinots et aux poussinettes. Qu'ils doivent être bons, gentils et sages. Que la compétition ne mène à rien. Que de se battre n'est pas beau. Que tous les êtres humains sont nés égaux. À cette belle liste teintée d'angélisme, on pourrait ajouter qu'accorder le crédit à qui le mérite ne va plus nécessairement de soi. Mais ne vous en faites pas, poussinots et poussinettes, l'important c'est de participer, n'est-ce pas?

 

Photo: Télé-Québec