J'étais en train de me promener sur la nouvelle place du Quartier des spectacles, d'admirer les quatre géants en forme de lampadaires, de redécouvrir la séduisante colonnade de béton blanc qui court sur toute la longueur du Musée d'art contemporain de Montréal, quand mon regard vagabond a buté contre une bannière. Posée sur le toit du musée, de biais avec la célèbre bouche en coeur de l'artiste Geneviève Cadieux, la bannière en toile rose ressemblait à une publicité. En fait, c'était une publicité de quatre mots en lettres majuscules, annonçant: LE MUSÉE DU QUARTIER.

Pas certaine d'avoir bien compris, j'ai relu attentivement la phrase plantée comme une épine rose au milieu du ciel. Je ne m'étais pas trompée: cette phrase de quatre petits mots disait bien ce qu'elle avait à dire et faisait bien ce qu'elle avait à faire: réduire le seul grand musée d'art contemporain non seulement de Montréal et du Québec, mais du Canada, à un quart de sa dimension symbolique.

 

Évidemment, je ne suis pas sans savoir que ce slogan trop familier, concocté par le service des communications du Musée d'art contemporain et par une agence de pub, a un but précis: profiter de la grande vague de visibilité qui déferle sur le Quartier des spectacles pour rappeler au bon peuple que le MAC est à la fois une des grandes attractions du coin et le seul vrai musée du Quartier. N'empêche: j'avais beau lire et relire l'inscription sur la bannière rose, elle faisait immanquablement jaillir dans ma tête l'image réductrice d'un centre d'interprétation du bitume urbain ou mieux encore: l'image d'un Écomusée du fier monde ou plutôt du pas fier monde, car résumer un lieu aussi unique à sa seule localité (le quartier), c'est manquer de foi et de fierté à son égard.

Évidemment, je caricature dans la mesure où je doute que ceux qui oeuvrent au Musée d'art contemporain de Montréal méprisent l'institution pour laquelle ils travaillent. Tous savent que ce musée, créé dans les années 60, demeure jusqu'à ce jour la plus importante institution muséale canadienne vouée à l'art contemporain. Et que ce n'est pas demain que le MOCCA, fondé à Toronto en 1999, lui fera de l'ombre.

En même temps, une lettre ouverte envoyée la semaine dernière aux journaux et signée par plus d'une centaine d'artistes importants comme Jocelyne Alloucherie, Dominique Blain et Pierre Bourgault, mais aussi par des profs, des historiens de l'art et des chercheurs, témoigne à juste titre du malaise grandissant à l'endroit du conservatisme et du fonctionnarisme du Musée.

Les 105 signataires de la lettre prennent pour prétexte la nomination de la nouvelle directrice Paulette Gagnon, une fonctionnaire de carrière qui évolue depuis 30 ans dans le sérail gouvernemental, pour exprimer leur frustration. Mais dans le fond, leurs reproches vont bien au-delà d'une seule personne et visent la triste mentalité d'un musée qui évolue en vase clos sans jamais faire appel à des conservateurs invités (comme le font le MBA ou le Musée national des beaux-arts du Québec), qui use de trop grande prudence alors qu'on est dans un domaine où l'on devrait au contraire faire preuve d'audace, le tout sous les auspices d'un conseil d'administration dépourvu d'artistes et fait surtout de gens d'affaires qui ont peut-être le sens des chiffres, mais pas forcément la sensibilité, l'ouverture, la perspective historique et la profondeur culturelle requises pour veiller à la destinée d'une institution comme le MAC.

Bref, un changement s'impose. Et d'autant plus qu'avec l'avènement du Quartier des spectacles et de sa rutilante Place des festivals, le Musée d'art contemporain de Montréal renaît en quelque sorte. Alors qu'avant, on avait tendance à ne pas le voir ou à voir à travers lui, voilà que ce musée devient aussi visible que le nez au milieu du visage. Pourquoi ne pas en profiter pour réformer l'institution et en faire un grand musée national, moderne, audacieux et performant plutôt qu'un simple musée de quartier?