Revenir à Montréal après un voyage à l'étranger peut parfois causer un choc. Cette fois-ci, le choc était d'autant plus grand que nous arrivions d'Istanbul, ville des Mille et Une Nuits, dont la beauté incandescente nous avait laissés pantois et éblouis. Si Montréal n'a rien à envier à Barcelone, comme le disait si bien le ministre Raymond Bachand l'an dernier, autant dire que Montréal a tout à envier à Istanbul, une ville vibrante, moderne et cruellement sous-estimée. En même temps, Montréal n'est pas non plus entièrement dépourvu de charmes, surtout les soirs d'été où le Festival de jazz le transforme en ville festive et tropicale.

C'est ce que je me disais tandis que l'avion survolait la ville avant de se poser sur la piste. C'était aussi l'avis de mon voisin, un jeune Français d'environ 30 ans qui venait expressément à Montréal pour le Festival de jazz. La perspective de passer la semaine à nager dans la grande piscine musicale du Festival réjouissait tellement ce grand blond, paysagiste de métier, qu'il a souri pendant tout le vol. Il a continué à sourire en descendant de l'avion. Mais arrivé aux douanes, là où une longue et sinueuse chaîne de cordons force les voyageurs à marcher à la queue leu leu comme des bovins qu'on mène à l'abattoir, son sourire radieux s'est mué en rire jaune. Au bout de 40 minutes de cet absurde manège sans doute imaginé par un fonctionnaire frustré de ne pas voyager, il ne riait plus. Nous non plus, à la différence qu'au lieu d'être un brin agacés comme notre jeune ami français, nous avions carrément honte de venir d'une ville où les visiteurs sont traités comme du bétail à leur descente d'avion au milieu d'un aéroport où les valises arrivent toujours avant leurs propriétaires.

 

Heureusement, une belle ambiance régnait de l'autre côté des portes. S'il y a un endroit où mesurer l'impact touristique du Festival de jazz, c'est bien aux arrivées de l'aéroport. Et ce soir-là, l'achalandage, la fébrilité et le nombre de pancartes arborant le logo du festival étaient des indicateurs qui ne mentaient pas.

Je venais de retrouver confiance dans Montréal. J'étais même heureuse d'être de retour en ville quand subitement, à la sortie du stationnement, mon regard s'est posé sur un panneau publicitaire. «Bienvenue à la Montréal» disait le panneau. J'ai répété à plusieurs reprises le slogan dans l'espoir d'en extirper un sens. En vain. De deux choses l'une: ou bien le rédacteur était un anglophone qui ne parlait pas français, ou bien un francophone inculte qui s'était trompé de jeu de mots. D'une manière comme de l'autre, ce message ne voulait rien dire sinon qu'à Montréal, ceux qui massacrent le français sont les bienvenus. Cent mètres plus loin, ma confiance déjà chancelante s'est définitivement abîmée contre un gros tas de gravats posé comme un champignon nucléaire à la sortie de l'aéroport. L'autoroute 20 fermée à la circulation n'était plus qu'un chantier hideux, inauguré trois jours plus tôt. Devant ce paysage en ruine, notre chauffeur de taxi a hoché la tête d'un air découragé. Ils n'auraient pas pu attendre la fin du Festival de jazz? a-t-il grommelé. En effet.

Qu'est-ce qui empêchait le ministère des Transports d'attendre la fin du festival et le départ de la visite pour commencer à excaver à gogo? Rien, évidemment, sauf un peu de bonne volonté et la conscience que l'image d'une ville tient à une foule de petits détails comme ceux-là.

Dans sa plus récente offensive, Tourisme Montréal rappelle l'importance de faire de Montréal une destination séduisante. C'est une riche idée, sauf que séduire un touriste avec une destination est une chose. Faire en sorte qu'il continue d'être séduit une fois arrivé à destination en est une autre. À Montréal, le jazz est toujours séduisant. Les enclos de bétail, les panneaux publicitaires débiles et les chantiers de démolition, un peu moins.