L'Espace Geordie se dresse à l'angle des rues Duluth et Berri. Plus Plateau que ça, tu meurs, branché sur le 220. Et pourtant, ce ne sont pas les branchés du Plateau qui se sont entassés à trois occasions, dimanche, dans la petite salle pour voir une des pièces les plus controversées de l'heure. En tout, quelque 230 Montréalais, majoritairement anglophones, étaient au rendez-vous pour la lecture de la version originale de Seven Jewish Children, mais aussi pour sa première lecture en français, sous le titre de Sept enfants juifs, dans une traduction de Jocelyne Doray.

Écrite au lendemain des frappes israéliennes contre Gaza, en janvier 2009, par Caryl Churchill, une dramaturge britannique, auteure de plus d'une trentaine de pièces et aujourd'hui présidente de la campagne Solidarité Palestine, Sept enfants juifs est une pièce de 10 minutes que n'importe qui, n'importe où dans le monde, peut monter.

Caryl Churchill a cédé tous ses droits à la condition que les recettes des différentes productions de sa pièce soient versées aux organismes d'aide à la Palestine.

Après Londres, Chicago, Washington, Bombay, Mexico et j'en passe, Montréal a été la première ville canadienne à sauter dans le train de la controverse, suivie par Toronto, où la pièce sera présentée les 15, 16 et 17 mai. Pourquoi la controverse? À cause de plusieurs passages de cette pièce à une ou plusieurs voix, perçue comme antisémite par des organisations juives qui plaident que son propos remet en cause l'existence même d'Israël. Autant dire que cette perception n'est pas partagée par tous. D'où la controverse...

Tout tourne autour d'une petite fille absente et invisible dont les parents se demandent quoi lui dire et quoi ne pas lui dire au sujet de l'histoire des Juifs, depuis les nazis jusqu'à Gaza. En proie à un conflit intérieur grandissant, les parents, qui veulent à la fois tout dire et tout cacher, passent par une gamme d'émotions allant de la peur, à la honte, à l'espoir jusqu'à la haine féroce et guerrière, avant de se rendre compte qu'ils sont allés trop loin et de conclure avec une gêne mêlée de doute et de contrition: «Dis-lui que nous l'aimons. Ne l'effraie pas.»

À Montréal, la jeune metteure en scène Rose Plotek a choisi de monter la pièce uniquement avec des femmes. Dix actrices d'ici, dont plusieurs francophones, se sont prêtées au jeu d'abord en anglais puis immédiatement après en français. L'une d'elles, Ève Gadouas, m'a dit qu'à cause de la charge émotive du texte, elle s'attendait à ce que le public leur rentre dedans. Il n'en fut rien.

«La discussion qui a suivi a été émotive, mais toujours très respectueuse», a-t-elle affirmé. Parmi les témoignages les plus étonnants, celui de cet Israélien établi à Montréal depuis un an qui a déploré la complaisance de la communauté juive montréalaise à l'égard du gouvernement israélien. «Comment se fait-il qu'ici personne n'ose critiquer les agissements d'un gouvernement qui est loin de faire l'unanimité en Israël?» a-t-il demandé.

Cette question cruciale aurait pu faire l'objet d'un débat plus large si Sept enfants juifs était resté à l'affiche plus longtemps. Mais voilà, par crainte de faire des vagues et de soulever une nouvelle polémique, on s'est contenté de trois petites représentations à peine publicisées.

Or, cette pièce, en ligne sur YouTube et dont j'ai vu la production de Londres et celle (géniale) de Chicago, mérite de revenir à l'affiche à Montréal et pas à la sauvette ni en cachette.

Personnellement je n'ai décelé aucun antisémitisme. En revanche, j'y ai vu de la pertinence, de la concision, une grande acuité du regard et une extraordinaire universalité. Car, ultimement, cette pièce s'adresse à tous les parents de bonne volonté, déchirés entre le désir de protéger l'innocence de leurs enfants en les berçant d'illusions et le besoin de les prémunir contre l'âpreté de la vie en leur racontant, sans faux-fuyants, l'horreur des guerres et des massacres.

À Londres, la BBC a refusé de diffuser la pièce sur ses ondes par crainte d'impartialité. Chez nous, la radio de la CBC a été plus courageuse. Dimanche matin, l'émission Sunday Edition a diffusé la pièce avec les actrices de Montréal. Un débat musclé entre un écrivain britannique farouchement opposé à cette pièce et Abby Lippman, la prof de McGill qui a orchestré la production montréalaise, a suivi.

Or, ce qu'Abby aurait aimé, c'est que la radio de Radio Canada emboîte le pas et diffuse à son tour la version française. Je suis d'accord avec elle, d'autant plus que nous sommes beaucoup trop nombreux à avoir raté ce moment de théâtre. Je lance donc officiellement le mouvement. Dix minutes de radio pour Sept enfants juifs. Dix minutes de radio pour sortir de nos sempiternels problèmes et s'ouvrir à ceux d'Israël et de Gaza. Dix minutes de radio pour une pièce engagée et bouleversante. Qui dit mieux?

 

Photo: AFP

La pièce Sept enfants juifs a été écrite au lendemain des frappes israéliennes contre Gaza, en janvier 2009, par Caryl Churchill, une dramaturge britannique.