Que Roy Orbison, les Everly Brothers, Cher, Nazareth, Emmylou Harris, Rod Stewart, Corey Hart, Joan Jett, Norah Jones et tous ceux qui ont interprété le classique Love Hurts se le tiennent pour dit: «Love doesn't hurt.» L'amour ne fait pas mal. C'est ce qu'a annoncé Oprah jeudi, dans une émission spéciale, dédiée à la chanteuse Rihanna et consacrée à la violence domestique chez les jeunes en couple.

Même si les coups et blessures qui ont envoyé Rihanna à l'hôpital après une violente querelle avec le chanteur Chris Brown datent du 8 février, l'affaire a enflammé les médias américains toute cette semaine. De Anderson Cooper, à CNN, à Katie Couric, à CBS, en passant par Oprah et compagnie, la réconciliation de Rihanna avec son bourreau et l'enregistrement d'un duo ensemble est devenue la nouvelle de l'heure. L'affaire a relancé le débat sur la violence domestique, mais aussi sur l'énorme difficulté que certaines femmes battues éprouvent à quitter leur bourreau et à sauver leur peau.

 

«Profitons de cette histoire et de ce moment pour apprendre quelque chose d'essentiel à nos jeunes» a martelé Oprah, ajoutant: «L'amour ne fait pas mal. Avez-vous compris? L'amour ne fait pas mal. Sauf quand votre coeur est brisé.»

La veille, des images de la magnifique Rihanna la montraient sortant d'une boîte à Los Angeles, suivie par Chris Brown, caché sous un manteau. La jeune chanteuse de 21 ans avait retrouvé son beau visage d'avant la nuit fatidique où son amoureux l'a tabassée avant d'essayer de l'étrangler. N'empêche. L'opinion publique américaine est parfaitement outrée que Rihanna ait décidé de passer l'éponge et de pardonner à celui qui, selon certains, est le petit frère de O.J. Simpson et qui va donc, un jour, nécessairement la tuer.

Que l'opinion publique américaine se préoccupe du bonheur et de l'intégrité physique de la jeune femme est fort bien. Sauf que de toute évidence, le message de l'opinion publique n'a eu aucun impact sur la principale intéressée.

Et bien que son comportement soit typique des femmes battues, celles-ci ont rarement la planète médiatique au complet pour les inciter à faire leurs valises comme c'est le cas pour Rihanna.

Or devant son refus d'obtempérer, on se dit que Rihanna a dû fermer toutes les télés dans sa maison et refuser de lire le moindre magazine depuis un mois. Ou alors les pressions énormes et collectives qui pèsent sur son destin amoureux ont eu l'effet contraire. Plus les gens disaient à Rihanna de quitter Brown, plus ils stimulaient son besoin d'être solidaire et de se réconcilier avec lui, quitte à pousser sa révolte contre l'opinion publique jusqu'au mariage.

Dernière hypothèse: parce qu'elle est jeune, pas assez instruite, trop absorbée par sa carrière et par l'univers factice et exploiteur dans lequel elle évolue, Rihanna n'a tout simplement pas mesuré la gravité physique et symbolique de l'agression dont elle a été victime.

Chose certaine, le comportement de Rihanna devrait servir de leçon à l'opinion publique. Son entêtement à demeurer avec son homme envers et contre tout est la preuve que les jugements moraux, les menaces (il va te tuer), le chantage (tu n'es plus un bon modèle pour la société) ne marchent pas.

Sachant cela, peut-être faudrait-il s'y prendre autrement. En reconnaissant d'abord qu'une femme battue est une femme amoureuse qui croit sincèrement qu'elle peut changer l'homme qu'elle aime. En reconnaissant ensuite que cet homme qu'elle aime a besoin d'aide et qu'avec l'aide appropriée, il peut changer et n'est pas condamné à être un monstre de colère et de brutalité jusqu'à la fin.

Rihanna peut bien quitter Chris Brown comme l'opinion publique le réclame. Ce serait la façon la plus rapide de sauver sa peau. Mais cela ne rendra pas son ex moins violent. Et surtout, cela ne sauvera pas la peau de la prochaine chanteuse avec laquelle Chris Brown se mettra en ménage. La violence domestique est un problème global et complexe. Il faut plus qu'une chanson ou un topo à la télé pour l'éradiquer.