James Moore, le ministre du Patrimoine, est-il dur d'oreille, insensible aux arts ou politiquement pervers? Depuis des mois, tous les artistes du pays, et tout particulièrement ceux du Québec, implorent le ministre de rétablir les fonds de plusieurs millions réservés aux tournées à l'étranger qui ont été brutalement supprimés avant les élections. Or, au lieu d'aider les artistes de chez nous à rayonner dans le monde, que fait le ministre? Il octroie une subvention de 25 millions pour aider les artistes... étrangers à rayonner au Canada.

Sur le coup, l'annonce d'une subvention de 25 millions destinée à créer les Prix du Canada pour les arts et la créativité et ouvert à tous les artistes du monde, a laissé les milieux culturels un brin perplexes. Mais très rapidement, la perplexité a cédé le pas à la grogne sinon à la colère. Et pour cause. D'abord, les 25 millions ont été accordés à Tony Gagliano et David Pecaut, deux hommes d'affaires de Toronto qui ont lancé le festival des arts Luminato, il y a deux ans.

 

Bien que ceux-ci se soient engagés à doter l'organisme qui gérera ces «Nobel canadiens» d'une structure séparée et indépendante de Luminato, en attendant c'est eux qui «callent les shots» et qui siègent aux CA des deux entités.

Évidemment, l'idée des «Nobel canadiens» c'était leur idée, ou du moins l'idée de David Pecaut, un Américain de l'Iowa qui est tombé amoureux d'abord d'une Torontoise, puis de Toronto, avant d'y faire fortune et d'y accumuler tellement d'amis et d'admirateurs dans le milieu des affaires comme de la politique, que certains jours, il passe pour le maire surnuméraire de la ville.

Pressé de donner encore plus de prestige et de renommée à Luminato, qui a bénéficié d'une subvention de départ de 15 millions, Pecaut a imaginé, en marge de son festival, une grande compétition culturelle.

Dans son esprit effervescent, ce Star Ac haut de gamme se déroulerait pendant une semaine avec demi-finales et finales et culminerait avec la remise de quatre grands prix dotés chacun d'un chèque de 100 000 $ pour la danse, le théâtre, la musique et les arts visuels.

Bien sûr, en lançant cette idée, Pecaut prêchait d'abord pour sa propre paroisse, ce qui est tout à fait normal de la part d'un homme d'affaires soucieux de faire prospérer son festival. Ce qui est moins normal, c'est que le ministre James Moore lui ait donné un chèque en blanc de 25 millions.

Au plan strict des normes, c'est une décision suspecte qui favorise un acteur privé et lui fait un cadeau de 25 millions de manière totalement arbitraire. C'est aussi une décision qui va à l'encontre des demandes des artistes et les prive de fonds dont ils ont un criant besoin.

Au plan de la perversion politique, par contre, c'est une décision digne d'un émule de Machiavel.

Non seulement les artistes canadiens n'auront-ils pas plus d'argent pour leurs tournées à l'étranger, mais au bout de la semaine, à la fin de la compétition, ils risquent de plus de se retrouver Gros-Jean comme devant à la faveur d'un danseur japonais ou d'un flûtiste indien qui repartiront chez eux avec un gros chèque payé par les contribuables canadiens.

Les artistes de Toronto pourront toujours se rabattre sur les miettes des retombées économiques générées par ces prix. Les artistes de Montréal, eux, pourront se rabattre sur rien sinon leur statut de laissés-pour-compte, punis pour avoir privé les conservateurs d'une majorité. À ce sujet, il n'est pas exagéré de prétendre que si le ministre Moore avait voulu se venger du milieu culturel mont- réalais, il n'aurait pas trouvé meilleur moyen. Car ces prix et leurs gros chèques feront immanquablement monter la cote culturelle de Toronto tout en sapant celle de Montréal.

Le travail de sape est d'ailleurs bien engagé.

Avec le départ du Grand Prix, la fermeture de deux des trois cinémas d'Ex-Centris, le Festival des films du monde anéanti par celui de Toronto et la précarisation de plusieurs troupes de danse et de théâtre à la suite des compressions, Montréal semble avoir moins d'avenir que de passé.

Toronto pendant ce temps-là, longtemps considérée comme la ville des affaires, se bricole à grands frais une vie culturelle dynamique tout en s'achetant une âme d'artiste. Et en 2010, au moment de la première remise des «Nobel canadiens», tous les grands agents, imprésarios et tourneurs de la planète convergeront chez elle, prêts à la consacrer première métropole culturelle du Canada.

L'étoile de Montréal ne sera alors peut-être plus qu'un astre pâlot qui clignote pour la dernière fois avant de s'éteindre. Si c'est le cas, il faudra créer un Prix des arts de la perversion et le remettre au ministre du Patrimoine pour son bon travail.

 

Photo: Robert Mailloux, La Presse

Si le ministre du Patrimoine, James Moore, avait voulu se venger du milieu culturel montréalais, il n'aurait pas trouvé meilleur moyen.