La foule, les cris, la joie, l'enthousiasme, l'espoir, comme l'a si bien dit Katie Couric de CBS, ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu autant de gens d'aussi bonne humeur. La dernière fois que la foule a pris d'assaut le Capitole à Washington, c'était il y a 10 jours, au plus fort des bombardements sur Gaza. Autant dire que ce jour-là, la foule n'avait pas exactement le coeur à la fête. Mais hier, pour l'investiture de Barack Obama, le soleil était revenu et brillait de toutes ses forces sur la foule en liesse, dont la bonne humeur était aussi vive que le froid mordant.

Les gens interrogés par les différentes chaînes répétaient tous à quel point ils tenaient à être à Washington, à l'endroit précis où ils allaient pouvoir, de leurs yeux, voir le cours de l'Histoire changer. Je les comprends parfaitement, sauf qu'on s'entend sur le fait que la meilleure place pour voir le cours de l'Histoire changer, hier, c'était devant sa télévision. Car même sur la plateforme où a eu lieu la cérémonie, je doute que ceux qui y avaient une place aient pu voir l'extraordinaire et pénétrant spectacle qui nous a été offert par les caméras de télé.

 

Fouineuses, indiscrètes et installées partout, y compris dans l'antichambre menant à la plateforme, ces caméras nous ont permis de constater avec un certain plaisir que Dick Cheney avait temporairement perdu l'usage de ses jambes, que Ted Kennedy n'était pas en si mauvaise forme (même s'il s'est effondré plus tard et a dû quitter le repas inaugural en ambulance). Les caméras nous ont aussi montré qu'à force de ne pas manger de brocolis, George Bush père avait vieilli au point de marcher comme un vieux canard boiteux.

Derrière lui, Jimmy Carter, né en 1924 comme lui, avait l'air d'un jeune homme fringant. Ces mêmes caméras ont été les premières à saisir la tête d'enterrement de Bill Clinton juste avant qu'il n'enfile son masque de charmeur de foule, puis à nous montrer le sourire inoxydable d'Hillary qui refusait de lui lâcher la main, le regard fuyant de Bush fils, faisant sa dernière apparition à titre de président, la prestance de Michelle Obama, magnifique dans sa robe jaune safran incrustée de broderies et dessinée par la Cubano-Américaine Isabel Toledo, et puis au bout de cette longue procession, le nouveau président des États-Unis, grand et grave, marchant d'un air solennel vers son destin avec un soupçon d'angoisse au fond des yeux.

Il y a quelques jours, lorsque Katie Couric a demandé à Obama à quoi il allait penser à ce moment précis, il avait répondu tout de go: à la température, surtout s'il fait froid.

Il avait vu juste. Il faisait froid et contrairement à Bill Clinton ou même à George Bush, père, qui ont tous les deux prêté serment un 20 janvier en veston, Obama a gardé son paletot.

Ni la voix d'Aretha Franklin ni le violoncelle de Yo-Yo Ma ou le violon d'Itzhak Perlman n'ont réussi à le réchauffer ni à l'empêcher de buter sur ses mots lorsqu'il a prêté serment.

Et puis le moment tant attendu est arrivé: celui où le nouveau président a prononcé son premier discours et donné le ton pour les mois sinon les années à venir.

Je n'ai pas écouté beaucoup de discours présidentiels dans ma vie mais ce que je peux dire de celui d'Obama, c'est qu'il a commencé comme une douche froide qui sonne et dégrise avant de lentement se réchauffer, de tendre des ponts, de raviver l'Histoire, de ranimer la flamme et de se terminer par l'image émouvante de gens qui, face aux épreuves, ne fuient pas et ne tournent pas le dos mais continuent de fixer l'horizon et de porter en eux le trésor de la liberté pour le livrer en toute sécurité aux générations futures. C'était beau, bien dit et d'une touchante sobriété. Mais surtout, c'était un discours qui, malgré son âpre lucidité, ne fermait pas la porte à l'espoir.

Plus tard, au moment où le cortège noir et blindé du président s'est ébranlé sur Pennsylvania Avenue, j'ai craint que cet espoir s'abîme dans la paranoïa et confine Obama au coffre-fort de son véhicule. Heureusement, celui qui incarne l'espoir en a fait la preuve, en descendant de son tank pour marcher à l'air libre et saluer la foule. Et même si la marche fut courte, elle a duré suffisamment longtemps pour que son image soit captée et diffusée partout dans le monde.

C'est mon image préférée de la journée, avec celle de la petite Malia prenant une photo de son père pendant qu'il prononce son discours.

Il reste une dernière image que j'aime tout particulièrement: celle de George W. Bush embarquant dans l'avion qui le ramène chez lui au Texas, disparaissant à jamais de l'écran radar de nos vies.