Je sais exactement pourquoi j'aime Les hauts et les bas de Sophie Paquin. C'est une comédie légère, drôle, pétillante comme du champagne. Mais je suis bien en peine de comprendre entièrement pourquoi j'aime Les Invincibles, qui revient à Radio-Canada mercredi prochain pour une troisième et ultime saison.

Les quatre antihéros de 30 ans et des poussières de cette série tragi-comique ne sont pas exactement un modèle pour l'humanité. Égoïstes, égocentriques, irresponsables, lâches, pas fiables, menés par leurs pulsions plutôt que par leur cerveau qui, de toute façon, a la taille d'un petit pois, les quatre amigos répondant au nom de Carlos, Steve, P-A et Rémi sont d'authentiques morons qui, la plupart du temps, n'ont rien d'autre à offrir au monde que leur moronie.

Et pourtant, va savoir pourquoi, je les aime et je ne veux pas manquer un seul épisode de leurs nouvelles aventures. Je ne suis pas la seule. De toutes les séries qui vont reprendre l'antenne, la leur risque de rallier le plus grand nombre de téléspectateurs. Pourquoi? Pour des qualités évidentes d'écriture (François Létourneau), de réalisation (Jean-François Rivard). Pour le jeu inspiré des acteurs, tous plus excellents les uns que les autres. Mais aussi parce que plus que toutes les autres séries dites masculinistes, celle-ci met en scène des protagonistes ordinaires et issus de la classe moyenne plutôt que les branchés, des bourgeois ou des marginaux qui passent leur temps dans des bars et des restos chics du Plateau.

Avec les Invincibles, on est dans la vraie petite vie. P-A est un psychologue médiocre dans le CLSC de son quartier. Rémi est un musicien raté au chômage. Steve vient de sortir d'une dépression et de relancer cahin-caha une entreprise et Carlos travaille (ou travaillait) dans une usine de poulets. Classe moyenne all the way.

Mais la grande qualité de cette série, dont les deux premiers nouveaux épisodes ont été présentés aux médias cette semaine, c'est à la fois de s'inscrire dans le courant d'autocritique du mâle trentenaire occidental tout en ouvrant une fenêtre sur le profond désarroi qui l'anime et qui, en fin de compte, nous rejoint tous, hommes, femmes, ados et adulescents confondus.

Par le passé, les quatre protagonistes venaient régulièrement se confesser à tour de rôle à la caméra. Cette année, c'est flanqués de leur bien-aimée que les gars, qui sont maintenant tous en couple, se prêtent à cet ingénieux jeu de téléréalité. Devant ces dames, les quatre se présentent sous leur meilleur jour, assurant les spectateurs sur un ton positif et pimpant qu'ils ont beaucoup changé depuis deux ans et que l'amour les a rendus adultes, matures et responsables. Évidemment, il n'en est rien. Non seulement, ils mentent à la caméra et par conséquent, à leurs dames. Pis encore: ils se mentent à eux-mêmes.

Reste que contrairement à Elvis Gratton, caricature du gros cave de banlieue, ou aux Boys, dopés à la testostérone et à la sueur de macho, les morons des Invincibles ont une épaisseur dramatique et sociologique que leurs camarades n'ont pas. Même au sommet de leur connerie et au plus bas de leur lâcheté, on sent que l'auteur ne se sert pas de leurs failles pour faire rire, mais pour questionner ses contemporains et les amener à une certaine réflexion sur eux-mêmes.

Cela ne fait pas des Invincibles une série moralisatrice. Que non.

Le plus rafraîchissant dans l'écriture de François Létourneau, c'est qu'elle est lucide sans jamais être idéologique, ni chercher à faire la leçon à qui que ce soit. Son trait de crayon a beau parfois être cruel et sans pitié, il touche à quelque chose de vrai et d'universel. Ces invincibles, tous vaincus par quelqu'un ou par quelque chose, ne sont finalement pas que des morons. Ou alors s'ils le sont, c'est que nous le sommes tous avec eux.